L’ansej... et alors ?
Licencié en électrotechnique, il se dit dégoûté de cette vie en Algérie, car il n’arrive pas à décrocher un travail. Lui qui partage un F3 avec ses parents et une fratrie de cinq jeunes ne voit plus le bout du tunnel. Cette volonté renouvelée de quitter l’Algérie par n’importe quel moyen est expliquée également par Saâdi Kamel, un jeune harrag de la cité populaire Didouche Mourad (ex-Laurier rose) de Annaba, qui a tenté à plusieurs reprises de quitter, sans succès, le pays.
«Le bilan de ma vie est plus que négatif. Je suis un célibataire endurci de 45 ans, sans emploi et sans logement. Je ne regrette pas d’avoir quitté tôt l’école, puisqu’en Algérie, les médecins et les ingénieurs sont au chômage. La seule alternative est de tenter ma chance sous d’autres cieux plus cléments. J’ai risqué à trois reprises la harga, mais à chaque fois je me suis fait arrêter par les gardes-côtes et condamné par la justice. Franchement, je ne suis pas près de baisser les bras et je retenterai ma chance», résume, non sans peine, ce jeune.
A la question pourquoi il ne monte pas sa petite entreprise via les dispositifs d’aide qu’offre l’Etat aux jeunes chômeurs, tels que l’Ansej, Kamel rit longuement. «Vous croyez que décrocher un projet dans le cadre de l’Ansej est une solution. La majorité de mes amis ayant tenté ce filon sont actuellement poursuivis en justice pour non-remboursement de dette. Avoir un projet Ansej ne suffit pas. Ce sont les projets qu’il faut avoir après pour réussir son activité. Pour les avoir, il faut corrompre avec de fortes sommes d’argent ceux qui sont en charge à l’administration. Je n’ai pas les moyens, donc ce n’est pas évident. Abdelmalek Sellal, le Premier ministre, a déclaré à Annaba, lors d’un meeting à la veille de la présidentielle, d’éponger les dettes des jeunes bénéficiaires de l’Ansej en difficulté, ce n’était qu’une promesse électorale. Les huissiers de justice harcellent toujours les jeunes endettés pour régler leur dû, qui souvent se multiplie par deux par mesure de pénalité.»
A ses côtés, Imad Douaoui, en survêtement et tongs, sirotant un «zindjabil», une cigarette entre les doigts, confirme les propos de son ami en s’interrogeant : «Que voulez-vous qu’on fasse ? A défaut d’un minimum pour un avenir décent dans notre riche pays, il faut chercher ailleurs. C’est légitime. Je connais plusieurs amis qui sont partis via des embarcations et y sont arrivés. Certes, ils peinent les premiers temps mais ils finissent par réussir. En Algérie, il faut peiner toute sa vie sans réussir.» Sur la question du durcissement de la loi contre l’acte de quitter l’Algérie clandestinement, les deux jeunes ne sont pas impressionnés.
D’un ton ironique, Imad, qui est également récidiviste en matière de harga, réplique après avoir écrasé son mégot : «Cela s’apparente à la situation d’un condamné à mort qui subit une autre peine de prison. Nous sommes déjà condamnés à mort dans une prison à ciel ouvert. Une autre peine de prison ferme ne changera rien à la situation.» A Annaba, la harga n’a jamais cessé avant et après le durcissement de la loi. La placette Alexis Lambert, qui est le point de chute des candidats à l’immigration clandestine de Annaba et d’ailleurs, les «programmes de départ» affichent complet.Ils dépendent seulement des conditions climatiques et des mesures sécuritaires imposées.
Les multiples coups de filet qui y ont été réalisés par les services de sécurité n’ont pas réussi à juguler le phénomène.
Depuis le mois d’août, il ne se passe pas un jour sans que l’on évoque ici et là un départ de jeunes depuis les différentes plages de Annaba. Rares sont ceux qui arrivent à bon port, souvent arrêtés par les gardes-côtes et parfois portés disparus.
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