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Mahmoud Boudarène, psychiatre, au « Le Quotidien d'Oran »: «Il faut espérer que cette épreuve du Covid-19 amè

Publié le 27/07/2021
Mahmoud Boudarène, psychiatre, au « Le Quotidien d'Oran »: «Il faut espérer que cette épreuve du Covid-19 amènera les peuples à plus de solidarité»
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Entretien :

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Mahmoud Boudarène, psychiatre, au « Le Quotidien d'Oran »: «Il faut espérer que cette épreuve du Covid-19 amènera les peuples à plus de solidarité»

par Entretien Réalisé Par Amine Bouali


La pandémie de la Covid-19 a chamboulé la vie de beaucoup d'êtres humains à travers le monde. Les restrictions sanitaires auxquelles ils ont été astreints pour se prémunir contre la maladie, ajoutées à la crainte de choper le dangereux virus, ont pu à la longue avoir des répercussions sur l'équilibre psychologique des sujets les plus fragiles. A l'occasion de la parution de son dernier ouvrage «Covid-19 et traumatisme psychique» (Éditions Koukou, Alger, avril 2021), le docteur Mahmoud Boudarène, psychiatre, a accepté de répondre à quelques questions du Quotidien d'Oran. Ancien député du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), âgé aujourd'hui de 67 ans, il a déjà publié en 2005 «Le stress entre bien-être et souffrance» aux éditions Berti. En 2012, il a fait paraître «L'action politique en Algérie, un bilan, une expérience et le regard du psychiatre» aux éditions Odyssée de Tizi Ouzou. Son troisième livre intitulé «La violence sociale en Algérie, comprendre son émergence et sa progression» est sorti en 2017, également aux éditions Koukou. Quant à son avant-dernier essai «Une vie à pédaler», il est paru à Alger, au début de cette année 2021 aux éditions CreaPsy.

Le Quotidien d'Oran : D'après vous, Docteur, comment les Algériens ont réagi face à cette pandémie du Covid-19 qui a affecté leur quotidien depuis presque une année et demi?

Dr Mahmoud Boudarène : La pandémie mondiale du Covid-19 a mis en état d'alerte l'humanité toute entière. Il n'y a donc pas de raison que cette épouvantable frayeur ne s'empare pas de l'algérien alors qu'elle a suscité l'émoi de toute la planète. Une catastrophe sanitaire qui met des millions de personnes face à la mort. Les sujets enclins à l'inquiétude ont vécu cet événement dans un climat de terreur et ont fait l'expérience d'un véritable traumatisme psychique. Il est indéniable que cette catastrophe mondiale aura des conséquences sur la santé mentale des populations. Comme tous les événements traumatiques que peut connaitre l'être humain durant son existence, elle laissera des séquelles indélébiles dans la vie psychique des individus. Dès que le sujet est confronté à la mort - la sienne ou celle d'un proche - sa vie bascule. Son sentiment intérieur de sécurité est ébranlé, l'effroi le pénètre et ne le quitte plus. Son existence n'est envisagée qu'à travers le prisme déformant de celui-ci. La mort est tout le temps présente à l'esprit. Cette pandémie constitue une épreuve psychologique qui met à l'épreuve les certitudes des sujets et l'assurance de leur invulnérabilité, elle suggère à chacun la non permanence de la vie. Les sujets les plus fragiles sont les plus exposés aux effets néfastes de ce genre d'événement, ils font preuve d'une perméabilité psychique accrue aux événements qu'ils vivent avec plus d'acuité et de frayeur. Le pessimisme dont ils font preuve leur fait voir tout en noir et leur activité mentale et intellectuelle est entièrement tournée en direction de l'événement dont la survenue et les effets ne peuvent qu'être catastrophiques. Pour les anxieux, l'avenir est donc définitivement compromis, cette pandémie emportera l'humanité, il ne reste plus qu'à attendre la fin. C'est à cause de cet état d'esprit que ces sujets développent des troubles psychiques au décours ou à distance de l'événement traumatique. De l'organisation de la personnalité et de l'histoire personnelle dépend l'avenir psychologique du sujet, mais dépendent aussi la nature et l'intensité des désordres mentaux qui vont apparaître. Mais nous pouvons également observer des conduites inopportunes et dangereuses pour la communauté. De tels événements inhibent les ressources cognitives (intellectuelles) des sujets et font naitre chez eux un climat de panique. Ils ne réfléchissent plus, leur instinct grégaire prend le dessus et ils adoptent des comportements instinctifs, inadaptés et dangereux. Il faut rappeler, justement, que si la panique se manifeste plus souvent par de l'agitation, des attitudes de fuite ou par des désordres psychiques, les postures qui donnent à croire que les sujets ignorent la situation ou ne se sentent pas concernés participent également de cet état de panique. Cette apparente indifférence vaut sidération des fonctions intellectuelles et cette espèce de déni individuel ou collectif de la menace est en réalité une forme de défense contre la frayeur qui étreint les individus. On observe parfois chez les personnes, qui sont dans cet état de négation des faits, des attitudes de «non-concernement», mais également des comportements de défi, de témérité et d'affrontement du danger, et quelques fois des attitudes qui s'apparentent à des conduites suicidaires. Si les personnes qui montrent de l'affolement se plient habituellement aux recommandations de sécurité qui sont dispensées dans ces cas, en respectant notamment les mesures de distanciation sociale, le port du masque et la désinfection, celles qui sont dans une logique de déni rejettent les consignes et bravent l'ordre social et/ou institutionnel. Elles se mettent toujours en danger et peuvent constituer une menace pour la sécurité de la communauté. Pour donner du sens à ces comportements, il faut souligner l'importance de l'information et de la pédagogie. L'absence de communication concernant l'événement et les conséquences que celui-ci peut avoir sur l'existence du groupe social est un élément déterminant dans l'apparition des troubles psychiques et dans l'émergence des comportements désorganisés. L'objectif principal de la communication étant de donner au sujet le sentiment de pouvoir exercer un contrôle sur l'événement et de rendre ainsi peu probable - dans les esprits - la confrontation avec la mort.

Q.O: A propos du déni, on a entendu certaines personnes soutenir très sérieusement que «le Covid-19 n'existait pas!» ou que «c'était une invention d'organisations secrètes pour dominer le monde»...

Dr M. B.: Le déni est un état d'esprit qui ne devrait pas durer. Il est momentané et cède vite face à la réalité qui s'impose. Mais quand il survient, il témoigne du désir de l'individu de se protéger contre la frayeur engendrée par le risque que représente pour la vie l'événement nouveau, le temps de «reprendre ses esprits» et de mettre en place les stratégies pour s'adapter, car le déni est également - il faut le souligner - une conduite que le sujet met en place pour tenter d'avoir le contrôle de la situation. Cette stratégie est peu opérante et est toujours provisoire. Une telle façon de procéder, qui témoigne de l'envahissement émotionnel du sujet, est propre aux personnalités immatures et inquiètes ou encore anxieuses. Ces personnes peu enclines à faire preuve de «calme psychique» et à raisonner sont très sensibles aux informations qui leur viennent du monde extérieur. Elles sont suggestibles et avalent sans discernement toutes les informations qui leur sont prodiguées. Elles sont de ce fait des proies manipulables et constituent le contingent des personnes visées par les gourous en tout genre qui écument les réseaux sociaux. Ces derniers - au caractère trempé - qui agissent derrière leurs écrans d'ordinateurs, font du déni une espèce de «prosélytisme» dont l'objectif est de réunir le plus grand nombre autour de leurs convictions. Dénoncer le complot mondial contre l'humanité. Les réseaux sociaux sont nécessaires dans la mesure où ils démocratisent l'accès à l'information et à la connaissance mais, parce que l'une et l'autre sont libres et libres d'accès, ils peuvent avoir un effet pervers et constituer un outil de désinformation ou de propagande redoutable. Cela s'est particulièrement vu durant cette pandémie. Le «complotisme» et les craintes que celui-ci a engendré au sein des populations en est un. Avec le confinement de la planète tout entière, la consommation des réseaux sociaux reste malgré tout une excellente chose et, comme les médias, ils constituent un outil de choix (meilleur ?) pour faire voyager l'information d'un bout à l'autre de la planète et de réduire les distances entre les nations. En toute chose, l'information est essentielle. Elle est le pilier de toute stratégie de lutte contre tout ce qui peut affecter les populations. En mettant au même niveau d'information tous les citoyens, on réduit le stress dans la communauté. On éteint les inquiétudes et les frayeurs que peut engendrer, chez les sujets, un événement et on en fait des partenaires dans la prise en charge des retombées sur la société.

Q.O.: Les anti-vaccins opposent des arguments rationnels mais aussi parfois irrationnels pour refuser de se faire vacciner...

Dr M. B.: La polémique fait toujours rage dans le monde occidental au sujet des dangers que fait courir la vaccination - tous les vaccins sont concernés mais c'est celui à ARN qui a suscité la plus grande polémique. Il est inutile ici d'entrer dans les détails de sa fabrication mais certains individus ont d'emblée - sans arguments rationnels, il faut le souligner - dénoncé le risque que cette nouvelle génération de vaccin ferait peser sur la santé de l'être humain. Une crainte qui s'est élargie à tous les autres vaccins y compris l'anglais Astra-Zeneca qui est aujourd'hui, avec les américains Pfizer/Moderna, exigé des voyageurs pour entrer dans l'espace Schengen. Des généticiens de renom ont rejeté ces propos «complotistes» et ont affirmé avec force que l'ARN n'inter-réagit pas avec le génome. Des virologues et des spécialistes en maladies infectieuses ont emboité le pas aux généticiens pour encourager les États à acquérir tous les vaccins y compris ceux à ARN, afin de prémunir les populations contre l'épidémie. Les partisans de la théorie de la «conspiration contre l'humanité» forts de leur conviction ont accusé les scientifiques et les hommes politiques favorables à la vaccination de mettre en danger les personnes et de brader leur santé - pour de sordides intérêts financiers liés aux grandes firmes pharmaceutiques. Pour autant, l'organisation mondiale de la santé (OMS) a demandé à faire usage de tous les vaccins disponibles, y compris les chinois et russe, et les autorités sanitaires américaine et européenne ont -quant à elles - donné leur aval pour l'utilisation des vaccins -ARN développés par Pfizer/Moderna et Astrazeneca, vaccin classique à vecteur viral, développé par les anglais.

Les USA et l'Union Européenne et de nombreux autres pays du monde -l'Algérie n'est pas en reste - sont en train de procéder à la vaccination de leurs populations. Le brouhaha créé par ces «prosélytes» - il faut dire qu'ils sont peu nombreux mais très actifs - autour de la vaccination a jeté le doute dans les esprits, il a accentué la méfiance par rapport à la parole publique et la défiance vis-à-vis de la vaccination. A plus forte raison dans les pays où la communication fait défaut et les populations livrées à la rumeur et à l'intoxication psychique générée par les réseaux sociaux. Toutefois, la lutte contre la pandémie est engagée à travers toute la planète ; tout en assurant que cela n'est pas obligatoire les pays sont en train de vacciner massivement leurs populations. Ce «vacarme planétaire», n'a pas interpelé les autorités sanitaires de notre pays qui sont restées muettes pendant que le citoyen algérien consommait, avec frayeur, les rumeurs. Des internautes algériens, parmi eux des médecins, ont joint leurs voix aux vaccino-sceptiques et ont, à leur tour, investi les réseaux sociaux pour se faire les relais de cette «infodémie». Les citoyens algériens ne font pas confiance à l'autorité publique - cela est historique -, avec cette polémique qui agite le monde occidental, leur méfiance vis-à-vis des vaccins a pris de l'ampleur. Pour l'instant les vaccins arrivent au compte-goutte, et ce n'est pas parce que le porte-parole du comité scientifique de surveillance de l'épidémie a affirmé que les vaccins importés sont halal que les citoyens se bousculent pour se faire vacciner. La population n'a pas besoin de discours religieux pour être convaincue de l'innocuité des vaccins et de la nécessité de se protéger avec ce procédé contre l'épidémie, il a besoin qu'on lui donne des explications scientifiques cohérentes et qui le rassurent. Les propos bigots inquiètent plus qu'ils ne rassurent, ils ruinent d'emblée l'avenir de ce moyen de lutte contre la pandémie. Si l'algérien a peur, la campagne de vaccination sera compromise quel que soit le vaccin qui lui est proposé. Cette circonspection se manifestera non pas parce que le vaccin pourrait ne pas être halal mais parce que ce dernier pourrait constituer une menace pour sa santé.

Q.O.: Comment sera l'après-Covid-19 dans le monde, selon-vous ? L'humanité va-t-elle être contrainte de réviser ses priorités, voire ses fondamentaux, ou tout va-t-il continuer comme avant ?

Dr M. B.: Ce que vit présentement l'humanité nous interpelle et il est certain que cette pandémie laissera des traces, chez l'individu et sans doute aussi dans ce qui fait les nations. Cet événement remet, d'une certaine façon, tout en cause. Il faut souhaiter que cette épidémie, par la menace qu'elle fait peser sur nos vies, sur la vie, éveillera les esprits à autre chose qu'aux préoccupations prosaïques et qu'elle fera comprendre à l'individu que l'existence doit être autre chose, qu'elle doit se nourrir d'ambitions différentes et en fin de compte être davantage tournée vers les autres, avec plus de don de soi et de générosité. Cette épreuve planétaire nous invite à regarder nos espérances avec plus de mesure, de pondération, de satiété. Elle somme les uns et les autres à faire le tri dans les besoins et à revoir les hiérarchies. De ce point de vue, le confinement n'est pas seulement une contrainte qui a un objectif donné, il a aussi du sens puisqu'il constitue ce moment privilégié pour quitter ce cycle infernal de la course derrière l'existence et les privilèges qu'elle peut ou doit nous offrir, et nous recentrer sur ce qui fait l'essentiel de la vie : le partage. Chacun de nous a besoin d'être en dialogue singulier avec soi-même, ce confinement forcé en est une excellente opportunité. Se questionner, remettre en cause ses certitudes, ses résolutions, avoir un autre regard sur soi, sur ses relations aux autres et sur son existence, repenser son avenir et procéder à d'autres choix ; voilà qui a du sens et qui va réduire l'indicible inquiétude générée par cette épreuve. C'est également l'opportunité, parce que l'existence prend du sens, pour évacuer les ruminations morbides et se débarrasser de la souffrance générée par l'angoisse existentielle. Chacun se parlera selon sa personnalité, son histoire, ses croyances et sa projection dans l'avenir; l'essentiel étant d'entrer en dialogue avec soi-même, loin de toute épouvante. La majorité des sujets sortiront de cette épreuve rassurés et renforcés au plan psychologique, certains feront l'expérience de la souffrance et verront leur avenir psychique plus ou moins compromis. Par ailleurs, cette crise sanitaire mondiale interpelle les nations, en particulier les plus développées, et les invite à moins de suffisance. Il faut souhaiter que cette épreuve sera l'occasion propice à une refondation des liens entre les nations et les peuples. S'il y a une leçon à tirer de cette crise sanitaire, c'est l'insignifiance de l'être humain, le dérisoire de ses richesses et de ses possessions accumulées. Il reste à espérer que cet événement amènera les peuples à plus de solidarité, de compassion et de partage et les nations les plus nanties à regarder les plus pauvres avec moins d'arrogance, et qu'elles ne convoiteront plus avec la même avidité leurs richesses. La douleur qu'aura causée, aux peuples du monde, la Covid-19 pourra alors prétendre avoir ou être un bienfait.
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