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Annaba. Collectif de familles des harraga

Publié le 13/08/2007

Kamel Belabed.  Porte-parole d’un collectif de familles d’immigrants clandestins (Annaba) - « Il faut une cellule de crise pour s’occuper des harraga » .     

Kamel Belabed est sans nouvelles de son fils depuis le 17 avril dernier lorsqu’il avait pris le large depuis les côtes bônoises. Courageux, il milite avec d’autres familles annabies de harraga pour amener le gouvernement à prendre sérieusement en charge un dossier aux proportions d’une nouvelle tragédie nationale.


 Le phénomène des harraga était circonscrit à l’Oranie. Depuis quelque temps, il s’étend à l’est du pays. Pouvez-vous nous dresser un état des lieux de ce phénomène à Annaba ?
 Effectivement, le phénomène a gagné très vite Annaba. Les points de départ sont répartis sur au moins une douzaine de lieux. A Oran, la proximité de la côte espagnole a poussé les autorités à soumettre la région à une forte surveillance. A l’Est, il y a moins de vigilance. 250 km séparent Annaba des côtes italiennes, précisément de la ville de Cagliari. Je me suis énormément documenté sur le sujet depuis le départ de mon fils. Il est parti le 17 avril 2007 et n’a plus donné signe de vie à ce jour. Il vient de faire ses 25 ans. Mais je ne voudrais pas parler du cas spécifique de mon fils. Moi, je veux parler du problème globalement. Quand vous avez quarante familles dans la même situation dont vous voyez la détresse matin et soir, vous ne faites plus de différence entre votre fils et les leurs. Et on constate avec effroi l’ampleur considérable prise par ce phénomène. J’ai ainsi découvert qu’avant mon propre cas, il y a plein de jeunes qui sont partis et à propos desquels leurs familles sont toujours sans nouvelles. Pour revenir à mon fils, je ne savais rien de son projet. Il nous a roulé d’une façon magistrale. Son caractère, sa personnalité n’autorisaient en aucune manière de supposer qu’il puisse faire ça. Il m’a fallu plusieurs jours d’investigation pour reconstituer les circonstances de son départ et le groupe avec lequel il est parti. Certains parents savaient que leurs enfants allaient partir. Ils les ont même aidés à le faire. Ils ne croyaient ni au tachghil echabab (emploi des jeunes) ni au mithaq el watani (la charte nationale). Pour eux, c’est un blasphème de parler de l’Algérie prospère avec de l’emploi pour tous. C’est ainsi que j’ai été amené en compagnie de mon ami Boubekeur Sabouni ici présent (un autre parent de harraga disparu en mer, ndlr) à rechercher des gens qui sont partis dans les mêmes conditions. Et là, j’ai vraiment saisi la gravité de la chose. 7 jeunes ont embarqué le 8 février, suivis de 6 autres le 15 mars, puis de 10 harraga le 17 avril puis de 6 autres le 24 mai et ça n’arrêtait pas. Ces listes ne sont évidemment pas exhaustives. Des vagues entières de jeunes disparaissaient et ne donnaient plus signe de vie. Cela nous a poussés à consulter des sites italiens dans l’espoir d’avoir de leurs nouvelles parce que l’Italie reste leur destination finale. Les gens là-bas parlent de chiffres alarmants. Le plus inquiétant est que depuis janvier, nous avons récupéré un seul corps à Annaba. Les autres sont donnés pour morts. Cependant, il n’y a nulle trace de leurs corps. Est-ce qu’ils les ont enterrés dans l’anonymat ? C’est l’une des questions que nous nous posons. Personne ne peut nous donner le nombre de nos concitoyens enterrés en Tunisie, en Libye, en Sardaigne ou à Malte. Peut-être y a-t-il parmi eux des gens que nous sommes en train de rechercher. Il faut qu’il y ait une stratégie pour recueillir et vérifier ces informations.
 Justement, quelles sont les démarches que vous avez entreprises pour faire la lumière sur ces disparitions ?
 Nous voulons dans l’immédiat créer une ONG. Mais l’entreprise s’avère extrêmement difficile. Nous, en tant que parents, nous demandons à participer, dans le cadre d’un effort citoyen avec les autorités, pour pouvoir leur donner des informations parce que nous sommes plus proches du sujet. L’Etat a pour devoir de nous écouter, de nous assister logistiquement, de nous assister juridiquement. C’est un engagement vis-à-vis de nos propres enfants de leur assurer une sépulture et de les enterrer parmi nous.
 Comment sont organisées à l’heure actuelle les familles des harraga à Annaba ?
 Nous sommes animés par une volonté ferme de mettre sur pied cette ONG. Son objectif est simple : lancer une action citoyenne en vue de stopper cette hémorragie et aussi agir pour que les familles puissent faire leur deuil. Ce que nous ne comprenons pas de la part des autorités, c’est qu’elles ne se manifestent pas. Des milliers de jeunes disparaissent en mer, autant de familles sont endeuillées, et le gouvernement ne fait rien. Nous n’avons vu aucun responsable s’emparer de la télévision pour lancer un appel. Ni le président de la République, ni le chef du gouvernement, ni le ministre de l’Intérieur n’ont réagi. Aucun d’eux ne semble saisir la gravité du problème. A la limite, nous les autorisons à mentir pour consoler un tant soit peu la pauvre maman éplorée qui a perdu son fils et lui dire : ne vous en faites pas, on est là.
 Avez-vous saisi le ministère des Affaires étrangères ?
 Nous avons écrit partout, à commencer par le président de la République, M. Bouteflika. Nous avons saisi par écrit tous les ministères concernés : les Affaires étrangères, l’Intérieur, la Justice, la Solidarité. Peine perdue. Les familles se sont ruinées à force de se déplacer en Tunisie. Il n’y a pas une seule famille qui ne soit pas partie au moins une dizaine de fois. Sans résultat. La réponse de notre consulat, à la ponctuation près, était toujours la même : « Vous nous laissez un numéro de téléphone, on vous rappellera. » Point. C’est le mutisme le plus absolu. Ou encore : « J’ai reçu votre lettre datée du… citée en objet. Les autorités tunisiennes (ou, dans un autre courrier, italiennes ou libyennes) ne nous ont pas fourni d’informations. Si jamais il y a quelque chose, on vous écrira. » Nous savons bien que les Tunisiens sont souverains sur leur sol, de même que les Libyens et les Italiens. Nous n’avons pas autorité pour les interpeller. S’il y a des gens en prison, qu’on nous le dise. S’ils sont morts, qu’on nous dise qu’ils sont morts.
 Vous avez des présomptions quant à leur éventuelle détention en Tunisie ?
 Nous avons de fortes présomptions même. Ils sont détenus en Tunisie ou ailleurs. Le problème est que les autres pays ne respectent ni nos citoyens ni notre gouvernement. Vous imaginez si c’était un Italien qui était détenu en Tunisie ? Un chat égaré à Paris a plus de valeur qu’un ministre chez nous. Nos chancelleries citent à chaque fois le manque de coopération des autorités étrangères. Ils vous disent : « Allah Ghaleb, ils ne sont pas coopératifs. » C’est à eux d’imposer le respect. Un otage issu de l’Etat hébreu, on déclenche pour lui une guerre parce que c’est un citoyen israélien. Mais quand il est question de milliers d’Algériens, les gens qui sont au pouvoir ont d’autres chats à fouetter. Ils ont des soucis d’élections, de sièges, de budget, mais pas de vies humaines. Nous avons perdu toute notion de civisme et de solidarité. Nous avons demandé un entretien de cinq minutes à Monsieur Djamel Ould Abbès après 30 coups de téléphone, juste pour savoir qu’est-ce qu’on peut faire ensemble, dans le cadre d’une solidarité citoyenne. Cela fait deux mois qu’on attend. Quand on voit avec quel intérêt on s’occupe d’une campagne électorale et quand, sur les mêmes murs, on affiche des photos de jeunes disparus en mer et qu’il n’y a personne qui s’en émeut, c’est grave. Un homme s’est immolé avec le feu parce que aucun responsable n’a voulu l’écouter. Il avait un problème de logement. Mais le fond du problème est l’absence d’écoute. Si le harrag est parti, c’est parce qu’il n’est pas écouté. Il ne peut pas croire en le gouvernement. Le travail, ce n’est pas pour nos enfants. Pas plus que le visa, les crédits, l’Ansej, le logement, la santé… Moi, personnellement, mon fils ne manquait de rien. Mais il sait que s’il demande son visa dans la légalité, on lui rétorquerait que la tranche des 25-30 ans n’ont pas droit de cité, à moins qu’il ne soit fils d’un diplomate ou d’un businessman. Une bonne partie des harraga sont des étudiants, des diplômés. Ce ne sont pas des nihilistes. M. Belkhadem se trompe complètement. Il est en décalage total par rapport à la réalité sociale. La plupart des jeunes qui sont partis ont noblement accompli leur devoir national. Rien que pour cela, ils méritent tout notre respect. C’est cette race de jeunes qu’il fallait préserver. Nos représentations diplomatiques devraient avoir honte pour tous ces jeunes qui sont soit détenus, soit oubliés dans une morgue ou bien perdus dans la nature. N’importe qui d’entre eux aurait pu être le beau-fils parfait de Monsieur le ministre. Ils ont mis leur vie en danger sans enquiquiner personne. Ils n’ont pas volé, ils n’ont pas fini terroristes. On ne dit pas à l’Etat : vous êtes responsable de ce qui est arrivé à nos enfants même si le pouvoir porte une part de responsabilité dans cette tragédie. En revanche, l’Etat algérien a une responsabilité envers moi qui cherche mon fils.
 Qu’attendez-vous concrètement du gouvernement ?
 De s’interroger, tout simplement. De partager nos questionnements sur le sujet et de nous écouter. Ils n’ont même pas la disponibilité de nous écouter, c’est cela qui est triste. Les Italiens nous ont demandé un prélèvement d’ADN des parents pour le comparer à celui des corps récupérés chez eux. Ils ont des banques de données. Quand ils ont un cadavre, ils prennent les empreintes digitales, ils prennent la photo même si le visage est altéré, et ils prennent l’ADN. Ils dressent une fiche affectée d’un numéro d’immatriculation pour identifier la personne. Me demander à moi d’aller chercher l’empreinte digitale de mon fils sur le duplicata de sa carte d’identité, chose qui relève des attributions du ministère de l’Intérieur, est absurde. En revanche, le ministère de la Solidarité ou un autre département peut créer une banque de données en tant qu’autorité et contribuer à l’identification des corps qui se trouvent dans les morgues italiennes. La situation urge. Chaque jour que Dieu fait, il y a au moins une trentaine de jeunes qui prennent la mer. Il faut une cellule de crise pour s’occuper des harraga. Il faut à tout le moins une personne qui sache nous écouter. Jusqu’ici, nous avons saisi le premier magistrat du pays, M. Bouteflika, nous avons saisi tous les ministères concernés. Si on continue à nous ignorer, nous allons interpeller l’opinion internationale.

El Watan > 13/08/07 > Mustapha Benfodil

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