Annaba. Monsieur le wali, Tabarka vous dit merci !

Muté à Annaba après les émeutes de Chlef, l’actuel wali de la quatrième ville du pays a vécu, depuis son arrivée, différents mouvements de colère des jeunes dont la dernière est une nouveauté en soi : des chômeurs de Sidi Salem ont grimpé sur les toits d’une administration et ont menacé de se suicider ! Mais ce n’est qu’une coïncidence ! Selon un quotidien national (in Liberté après son installation), M. le wali aurait été envoyé à Annaba pour enrayer le phénomène de la harga.
Depuis son arrivée, les jeunes s’embarquent clandestinement tous les jours et par dizaines ! Mais ce n’est qu’une coïncidence !
Il y a quelques jours, je me trouvais à Chlef. Inutile de vous répéter les appréciations des Chélifiens sur l’ancien chef de l’exécutif ! J’ai aussi remarqué – et les Chélifiens s’en désolent — l’absence de toute animation nocturne. Il est donc normal que M. le wali de Annaba s’empresse de fermer 22 bars, restaurants et établissements hôteliers qui attiraient encore le peu de touristes nationaux venant, chaque week-end, de tout l’Est algérien ! Désormais, Annaba sera ce que M. le wali veut qu’elle soit(1) ! On vient de me dire que de Khenchela, Batna, Skikda, Constantine, Souk-Ahras, Guelma, El- Tarf, Tébessa et même d’El-Oued, des centaines d’anciens clients des établissements fermés par la «hogra» ont décidé de se rendre à Tabarka(2). Ils seront rejoints par ceux de Bône. Désormais, et grâce à de telles décisions, il y aura, en plus du million et demi de touristes se rendant chaque année en Tunisie, des circuits de week-end pour ceux qui refusent de céder au chantage intégriste ! Alors qu’ils poussent avec eux (eddizou mâahoum), tous les moralisateurs en cravate ! Défigurez davantage ma ville bien aimée, ma tendre passion, Annaba, cité de Sidi Brahim, Saint Augustin et Nedjma, œuvre majeure de Kateb Yacine ! Plantez du béton autour de nous ! Faites reculer les arbres et rétrécir le sable des plages ! Forez, forez partout et transformez nos quartiers en gruyère ! Vous ne l’avez donc point trouvé ce trésor que vous cherchez depuis quarante ans ? Faites proliférer les moustiques ! Oubliez toujours de tailler les beaux ficus du Cours de la Révolution ! Compliquez davantage la circulation ! Courez derrière les couples réfugiés dans les maquis ! Laissez la place d’Armes s’écrouler sous le poids de la souffrance humaine ! Continuez à faire la sourde oreille aux cris des chômeurs, des malades sans le sou, des mal-logés, des sans-domicile-fixe, des femmes jetées dans la rue — tout ce beau monde que vous ne verrez pas de la voiture filant derrière les motards — et commandez 10 000 bateaux de surveillance pour empêcher les jeunes de voguer librement vers la Sardaigne ! Camouflez la misère et les mille laideurs de la ville et faites monter des décors somptueux tout au long des itinéraires présidentiels ! Tuez encore un peu plus la culture et les arts, disparus sous des montagnes d’incompétence et de mensonges ! Un centre culturel étranger fait mieux que toutes vos structures, vos infrastructures et vos budgets ! Faites circuler les petits fours parmi les correspondants de presse ; certains oublieront peut-être les problèmes du peuple ! Mais quels problèmes donc, face au grand défi, à l’inégalable mission, à la tâche la plus importante de l’heure : supprimer ces quelques établissements qui vous empêchent de dormir ? Mais pourquoi ne pas le dire franchement : qu’ils arrêtent donc de la fabriquer cette bière de malheur ! Nous sommes l’un des pays qui produisent le plus de ce breuvage en Afrique, mais, visiblement, vous préférez qu’il s’écoule dans les tripots clandestins, les bois mal famés et les voitures garées sur les bas-côtés. Que de milliards de dinars perdus par les impôts et que d’accidents de voiture devrions-nous encore compter pour satisfaire vos caprices de fermer, prohiber, interdire, proscrire, mettre sous scellés, attenter à la liberté des gens, marginaliser des villes par rapport à d’autres ! Y a-t-il donc des villes côtières indépendantes et d’autres sous la colonisation d’une administration religieuse ? Et ces vins importés en devises fortes ? Un scandale ! Mais qui produit cette bière que vous ne voulez pas voir vendue dans des bars propres, surveillés, contrôlés, en règle avec les lois du travail et les impôts ? Mais qui importe ce vin que vous préférez laissez couler dans les endroits malsains, alimentant un commerce illicite parmi les plus lucratifs ? QUI ? Et ces maisons de rendez-vous qui pullulent partout, des «Hongrois» au centre-ville en passant par les «Allemands» ? La moralisation ne devrait-elle pas commencer par tout ce qui est illégal et contraire à la morale au lieu de toucher des établissements hôteliers dont les propriétaires ont cru aux histoires bidon de vos ZET, tourisme à la noix de coco, investissement, etc. ? Devrions-nous transformer la belle corniche en sites horribles comme ceux de la Caroube où le béton a bouffé tout le rivage ? Avez-vous l’intention d’encourager l’industrie de la brochette qui a d’autres lieux pour s’exercer que notre belle côte pourtant protégée ? Vous ne trouvez rien à dire quand les militaires s’octroient une plage, que les gendarmes s’installent sur des sites touristiques et que les policiers édifient leur centre de repos à Aïn Achir, l’une des plus belles rives ? Laissez-nous vous dire que nous en avons marre, nous les civils, d’être tout le temps persécutés ! Nous irons à Tabarka ! D’abord là-bas, les militaires et les policiers n’ont pas peur de se baigner avec le peuple. Les nôtres pensent peut-être que nous avons la gale ! Et puis, le wali de Djendouba a d’autres chats à fouetter que de persécuter les investisseurs et autres patrons de bars-restaurants. Mais notre harga sera hebdomadaire ; nous reviendrons ici pour compter vos échecs et en rire, en rire, en rire, des Salines jusqu’au Cap de Garde ! Vous passerez comme sont passés les autres et nous serons encore là, nous ou nos enfants, pour raconter vos errements ! Qui se souvient du wali qui a fermé les bistrots de Tizi-Ouzou dans les années 1970 ? Les bars ont rouvert et le pauvre gars a été éjecté par le système, poussière microscopique happée par le gouffre sans fin des pâles prétentions humaines… (1) Interrogés sur cette affaire, les responsables administratifs disent qu’ils n’ont fait qu’appliquer la loi. Et de citer l’exemple du renouvellement des licences après le décès du propriétaire. Mais qui est responsable de cette situation ? C’est plutôt l’administration qui refuse de régler la question sinon comment expliquer que des dizaines de dossiers dorment dans les tiroirs ! Parmi ces dossiers, ceux de restaurants de haut niveau pouvant offrir un supplément de bonnes tables à une ville qui n’en compte que quelques unes (La Potinière étant fermée, il ne reste que La Caravelle, Amadeus et l’Albatros, plus le restaurant du Seybouse ! Ridicule pour une ville comme Annaba !) En vérité, les autorités ont mené une véritable campagne et, pour faire passer la pilule, elles se cachent derrière la réglementation. Tous les motifs sont bons pour fermer ce genre d’établissements. Peuvent-elles nous dire alors pourquoi aucune licence n’a été délivrée depuis au moins une décennie ? Quand on veut tuer son chien… (2) Tabarka est actuellement à une heure trente de route de Annaba. Avec l’autoroute, elle sera à trois heures de Constantine. Sentant que les villes de l’Est ressemblent de plus en plus à la Kaboul des Talibans, Tabarka se prépare à accueillir toute l’année les Algériens qui veulent vivre leur vie sans le diktat des obscurantistes !

Le soir d'Algérie >01/06/09 > Par Maâmar Farah -   farahmaamar@ymail.com