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La toxicomanie, l'autre fléau d'Annaba

07/04/2008 - Lu 124112 fois
Le trafic de stupéfiants y fait rage

La jeunesse d'Hippone est trop souvent prise entre le marteau de l'émigration clandestine personnifiée par les harragas et l'enclume de la drogue dont les chiffres augmentent d'année en année.

Entre la basilique Saint-Augustin et Sidi Boumerouane, la Coquette garde toujours son charme de ville qu'on ne se lasse pas de redécouvrir. Du cours de la Révolution jusqu'à Aïn Achir en passant par Saint-Cloud, Chapuis, la Caroube, Tbeche et le Cap de Garde (Belvedère), la splendeur de la Corniche et de ses plages familiales ne laisse pas le visiteur indifférent. Impossible d'y résister. Le secret est divin, dit-on ici. « Je suis venu pour affaire, il y a plus de trente ans. Je ne l'ai plus quittée depuis », nous confie un client de l'hôte Rym El-Djamil dominant la magnifique baie. Ville ouverte, elle constitue en été un destination privilégiée. Raison qui a motivé des investisseurs depuis quelque temps à n'avoir d'yeux que pour les infrastructures hôtelières dont la côte se garnit de plus en plus.

Cependant, ses habitants ont quelque part le mal de vivre alors que la nature n'a pas lésiné sur ses dons. Le charme d'Hippone a d'autres amateurs que sa jeunesse prise entre le marteau de l'émigration clandestine personnifié par les harraga et le l'enclume de la drogue dont les chiffres augmentent d'année en année. Troisième ville en matière de trafic de stupéfiants, Annaba est considérée comme la capitale de l'est du pays.

La division de la police judiciaire du groupement de la gendarmerie a traité 2 557 affaires en 2007 et arrêté 4 047 personnes dont 3 184 écrouées, contre 2 654 affaires, 3 938 arrestations dont 1 068 écrouements en 2006. Les quantités de diverses drogues saisies sont de 4 813 kg de cannabis, 16 189 plants de cannabis, 74 817 plants de pavot, 89 931 comprimés de psychotropes, d'opium et de cannabis de plusieurs centaines de grains. La tranche d'âge la plus touchée par la détention et l'usage de stupéfiants est celle comprise entre 19 et 26 ans, comme le montrent les chiffres du premier trimestre de l'année en cours avec 538 cas. Durant cette même période, 11 350 plants de pavot et 1 392 plants de cannabis ont été saisis.

Le coup de force de la gendarmerie et de la police

Comme dans tous les domaines de lutte contre les fléaux, la seule méthode reste celle de la prévention. Le contrôle opéré lors des descentes régulières s'est avéré efficace à plus d'un titre. Au niveau de la gendarmerie, le processus est bien enclenché. Deux spécialistes de la recherche sont en place en les personnes du commandant de groupement, le lieutenant-colonel Barrour, qui a fait ses preuves à Boumerdès, et son chef d'état-major le commandant Aliout, ancien chef de la compagnie de Chéraga.

Une opération combinée avec la police a été organisée mercredi dans la soirée. C'est la première avec les éléments de la Sûreté nationale en 2008 et la 12e de la gendarmerie avec une moyenne de trois à quatre descentes par mois. Et si l'opération n'a pas permis des résultats importants avec 19 personnes gardées à vue sur 574 identifications, il n'en demeure pas moins qu'elle a abouti à l'arrestation de six personnes recherchées en vertu d'un mandat d'arrêt. « Notre but c'est avant tout la prévention. Ce genre d'opération a un impact dissuasif et ce qui importe pour nous c'est la sécurité des citoyens. Avec nos collègues de la police, il y a une complémentarité qui permet efficacement de juguler le phénomène de la criminalité », dit le lieutenant-colonel Barour.

455 éléments des deux corps de sécurité ont été mobilisés et affectés dans plusieurs quartiers du centre-ville et des communes de la périphérie connues pour renfermer des noyaux de la criminalité comme Sidi Amar, Sidi Salem, Kherraza et 1er-Mai. Notre groupe prend la direction d'Aïn Achir avec le commandant Aliout. Les giboulées et les rafales de vent qui font déchaîner la grande bleue n'ont pas eu raison de la volonté des jeunes automobilistes à venir admirer le large du haut de cet endroit féerique. Un véhicule est vite repéré. Trois garçons et une fille. La vérification de son identité révèle qu'elle est mineure. On la prie de prendre place dans le fourgon. En contre-bas, les sentiers qui mènent vers la mer sont pris d'assaut par les policiers. Cette fois, il n'y aura pas de  «prise ». L'alerte a été donnée avant l'invasion des lieux et les plus avertis ont déjà quitté les lieux. Du moins ceux qui avaient quelque chose à se reprocher. La fille revient à la charge et supplie la policière de la relâcher. La télévision ne rate pas la scène où l'adolescente passe à confesse.  «Ta place est au lycée et non dans un endroit pareil. Tes parents sont-ils au courant ? » lance la policière.  «Je regrette, soyez indulgente, laissez-moi partir », se désole la fille. Elle sera emmenée au poste.

On reprend la route vers l'est. Au quartier du 1er-Mai, les véhicules se dirigent tout droit vers un ancien poulailler abandonné. À l'intérieur, deux bonhommes ne montrant aucune inquiétude à la vue des éléments de sécurité se contentent d'un petit étonnement du nombre de personnes devant eux. Une bouteille de vin sur un vieux frigo, l'un d'eux tient un langage des plus clairs :  «Cela fait 28 ans que je viens me faire un petit plaisir dans le coin sans faire de mal. » Une explication déconcertante. Après tout ces adeptes de Dionysos ne semblent pas méchants.

Sidi Salem. Un de ces trous fait de baraques et de mansardes qui compte pas moins de 60 000 habitants. Un quartier dépendant de la commune d'El-Bouni, la plus peuplée de la wilaya. On parle de près de 200 000 habitants. Au niveau du projet de la construction d'un pont reliant Sidi Salem à Pont Bouchet. Des  «Mahchachate » en bordure de l'oued que les occupants ont fui, alertés certainement par des complices qui ne pourraient être que les gardiens du chantier. À la question de savoir pourquoi ils ne les dénonceraient pas à qui de droit, c'est le modus vivendi. Pourtant, l'existence de ces  «mahchachate » pourrait constituer un danger pour le chantier (agressions, vols de matériels ou autres).

À 20h30, Annaba et sa périphérie se vident de ses citoyens. C'est l'heure de rentrer et de préparer le bilan. Une sortie qui s'ajoutera aux autres. Elle permettra au moins aux citoyens paisibles de connaître la paix pendant quelques jours.

L'école, la religion et l'autorité

« Le toxicomane est-il un criminel ou une victime ? » s'interroge le commandant de groupement lors de l'organisation jeudi au centre culturel Mohamed-Boudiaf d'une journée de sensibilisation sur les méfaits de la drogue. Une initiative à laquelle ont pris part des spécialistes de la question (psychiatres, psychologues, juges des mineurs, affaires religieuses, gendarmerie, police). Pour Mme Teffahi, psychiatre, l'Algérie, pays de transit dans le passé est devenu pays producteur et consommateur. Exerçant au centre de désintoxication de Boukhadra, elle rappellera l'esprit de la loi 04/18 de novembre 2004 « faisant l'injonction thérapeutique au consommateur de drogue ». Celui-ci ne sera mis en prison qu'en cas de refus de suivre le traitement. Pour le psychiatre, il est nécessaire d'aider le malade à changer d'idée vis-à-vis de la drogue. Au vu de l'ampleur de la toxicomanie qui touche une grande partie de la jeunesse, l'État a décidé de lancer incessamment la construction à Annaba d'un hôpital psychiatrique.

Annaba compte 1 236 toxicomanes recensés officiellement sur 26 000 que compte le pays. Des chiffres qui ne reflètent pas la réalité car beaucoup de toxicomanes ne se font pas suivre médicalement. Pour le juge des mineurs, selon l'article 6 de la loi sus-référencée, n'est pas puni tout toxicomane qui suit un traitement thérapeutique. Le représentant des affaires religieuses a, quant à lui, axé son intervention sur l'aspect des méfaits qui concernent le psychique, la religion, les biens, l'honneur et l'intégrité physique. Cinq intégrités que le toxicomane expose au danger. Pour le représentant de l'éducation, à qui la remarque a été adressée sur l'insuffisance du rôle des établissements scolaires à mener à bien leur rôle éducatif, le problème de la toxicomanie concerne tout le monde, à commencer par la cellule familiale. C'est ce qui pousse à revenir sur la question : le toxicomane est-il un criminel ou une victime ? Et même si la sensibilisation reste une louable initiative, on ne peut parallèlement éviter l'interrogation de savoir si l'État est en mesure d'attaquer le mal à l'origine. Des dizaines de milliers de plants de pavot et de cannabis sont arrachés et saisis. Combien sont restés à l'abri des «curieux » ? N'est-il pas temps de mettre les moyens qu'il faut ?

A. F. [LIBERTE - 04-04-2008]

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