Vous êtes ici >> Accueil/Annaba Actualités/Arbitrages institutionnels et instrumentalisation politique de la r...
Zone Membre
Publicités

Arbitrages institutionnels et instrumentalisation politique de la rente en Algérie

Publié le 04/09/2022
Arbitrages institutionnels et instrumentalisation politique de la rente en Algérie par Samir Bellal (*) Les vulnérabilités structurelles de l'économie algérienne se révèlent dans un contexte institutionnel particulier qui, loin de constituer un facteur de résilience, rend l'entreprise de redressement économique socialement très coûteuse et politiquement porteuse de risques d'instabilité et de troubles. Depuis 1999, le pays semble s'être résolument laissé emporter par une euphorie dépensière dont les conséquences se manifestent aujourd'hui par une situation où les ajustements à la marge se révèlent insuffisants pour faire face aux déficits. L'ampleur énorme de ces derniers est le produit d'une politique laxiste populiste qui s'est, pour ainsi dire, naturellement imposée à la faveur des facilités larges qu'offrait l'embellie financière entre 2000 et 2015. Expression d'un compromis social largement partagé, ou ne souffrant, en apparence, d'aucune contestation, le populisme constitue aujourd'hui l'obstacle politique majeur au changement. Quels sont les éléments constitutifs de ce compromis populiste qui rend aujourd'hui l'entreprise de sortie de crise des plus difficiles et des plus incertaines ? D'une manière générale, ce compromis a pour fondement la nature rentière du régime de croissance. En termes empiriques, ce caractère rentier se donne aisément à lire dans les statistiques relatives à la structure-ressources du PIB, la part de la rente externe dans les ressources budgétaires de l'État ainsi que dans la structure des exportations. Mais par-delà les statistiques, le compromis dont il est question se présente comme un ensemble homogène de codifications (formelles et informelles) des principaux rapports sociaux à l'œuvre dans le champ économique et social. Ces codifications présentent la particularité d'être fondamentalement les mêmes que celles qui prévalaient lors de la crise survenue au milieu des années 80, au point où il peut sembler permis de parler d'une certaine permanence ou continuité dans le contexte institutionnel de la crise. Ce dernier présente une configuration dont les éléments constitutifs rappellent étrangement ceux auxquels nombre d'économies rentières ont habituellement à faire face en périodes de crise. Au premier rang de ces éléments, il y a l'État, à travers ses choix budgétaires. Les autres éléments constitutifs renvoient respectivement, et selon un ordre hiérarchique convenu, au mode d'insertion de l'économie nationale dans la division internationale du travail, au mode de formation des prix et de la concurrence, aux formes de mise au travail et aux formes que prend concrètement la gestion de la contrainte monétaire. Un budget dominé par la rente Comme dans les années 70 et 80, le budget de l'État continue de constituer, dans le fonctionnement d'ensemble de l'économie, le point d'articulation entre le secteur des hydrocarbures et le reste de l'économie, non seulement parce que celui-ci demeure essentiellement alimenté par la fiscalité pétrolière, mais aussi parce que c'est toujours par le biais de ce budget que circule l'essentiel de la rente pétrolière. Structurellement, le budget de l'État reste fortement dépendant des prix des hydrocarbures sur le marché mondial. La structure budgétaire reste donc marquée par le poids de la fiscalité pétrolière. Le boom pétrolier survenu en 2000 a induit une situation nouvelle sur le plan de la disponibilité des ressources budgétaires. Depuis 2000, celles-ci ont en effet plus que doublé, pour atteindre des niveaux jamais égalés. Afin de mieux gérer ce cycle de la rente pétrolière en prévenant les effets de la volatilité du prix du baril, un fonds de régulation des recettes est institué en 2000. Ce fonds, destiné à recevoir les plus-values de la fiscalité pétrolière, a reçu des montants considérables. Du côté des dépenses budgétaires, on observe, en premier lieu, que le budget de l'État continue de prendre en charge de lourdes dépenses sociales, à travers notamment le soutien des prix des produits de large consommation, le financement du logement et les transferts sociaux. En second lieu, on observe que le secteur public économique continue toujours de constituer une charge très lourde pour le budget de l'État qui supporte inlassablement les pertes des entreprises déficitaires. Les déficits des entreprises publiques alourdissent les portefeuilles des banques, elles-mêmes publiques, obligeant le Trésor public à recapitaliser périodiquement ces dernières. Enfin, dans un régime où l'essentiel des ressources budgétaires provient de la rente pétrolière, l'État est fatalement confronté, à travers les compromis budgétaires, aux deux impératifs classiques : l'impératif économique de financement de l'accumulation et l'impératif politique de redistribution. La question est alors de savoir lequel des deux impératifs a prévalu dans la dynamique budgétaire de ces deux dernières décennies. La réponse à cette question n'est pas évidente parce que la nature du compromis institutionnalisé demeure, à l'image de la rente, ambiguë. En théorie, ce balancement entre les deux impératifs se résout en fonction du degré d'intensité de l'impératif de légitimation du régime politique en place, d'un côté, et du degré de la capacité de ce régime de contrôler et de mobiliser la société, de l'autre. Depuis 2011, et avec l'avènement de ce qu'on a convenu d'appeler « le printemps arabe », l'impératif politique de la redistribution semble l'avoir largement emporté sur l'impératif économique de l'accumulation. Une insertion internationale portée par des logiques «extractives» Le mode d'insertion internationale de l'économie a plusieurs composantes. Nous nous intéressons ici à la question des échanges commerciaux avec le reste du monde, l'investissement direct étranger et, question souvent occultée dans les débats publics, la gestion du taux de change de la monnaie nationale. Le fait marquant à relever est une ouverture inconsidérée des frontières économiques du pays et un renforcement de l'insertion par les hydrocarbures. Le pays peine véritablement à trouver un antidote à l'intoxication pétrolière. En effet, la décennie 90 sera caractérisée par l'amorce d'un processus rapide et brusque d'ouverture extérieure, suite à des pressions externes. Dès 1991, le monopole de l'État sur le commerce extérieur est supprimé. Cette ouverture fut renforcée dans le cadre de l'accord d'association avec l'Union européenne, contraignant le pays à une libéralisation extrême de son commerce extérieur. Les effets de l'intoxication pétrolière sur la structure des exportations, loin de diminuer, se sont même renforcés. Les données statistiques montrent en effet que le secteur des hydrocarbures demeure le facteur essentiel de l'insertion internationale de l'économie algérienne, tendance que la politique de libéralisation a, selon toute apparence, aggravée. Cependant, sur un plan macroéconomique, l'avènement d'une conjoncture favorable sur le marché pétrolier mondial à partir de 1999 permet au pays de consolider sa position extérieure au point où il devient, à partir de 2002, un créancier net sur le reste du monde puisque le montant des réserves de change est désormais supérieur à celui de la dette extérieure, tendance qui se maintiendra jusqu'à nos jours. L'investissement direct étranger (IDE), autre élément essentiel du mode d'insertion dans l'économie mondiale, fait l'objet, depuis 1999, d'un intérêt politique sans commune mesure avec son déploiement réel. La présence de ce type d'investissement s'est révélée fort modeste, pour ne pas dire décevante. Un bilan sommaire des deux dernières décennies de présence du capital étranger en Algérie permet de faire ressortir essentiellement deux éléments : une présence fort timide par son volume (01% du PIB par an en moyenne) et un déploiement sectoriel porté par une logique davantage « extractive » que créatrice de valeur. Fait notable, les IDE se sont rarement portés sur le secteur dit des « échangeables ». Globalement, les IDE ont agi comme de véritables pompes à aspirer les liquidités internationales du pays. Il convient cependant d'admettre que si le déploiement du capital étranger présente une telle configuration, c'est particulièrement parce que l'IDE en Algérie n'est pas soumis à des priorités nationales. L'absence de régulation étatique au niveau des orientations sectorielles des investissements ainsi qu'au niveau du régime des participations expliquent sans doute la prédominance du caractère essentiellement « extractif » de l'investissement étranger. La prédominance du comportement de recherche de rente qui caractérise l'action du capital étranger n'est par ailleurs pas l'apanage de ce dernier : elle est inhérente à l'ensemble des acteurs de l'accumulation, à commencer par le capital privé national. Ce qui vient d'être dit des contraintes liées à l'ouverture commerciale peut être étendu à l'autre composante constitutive de l'insertion internationale : le taux de change. La détermination du taux de change est, contrairement à ce que l'on entend souvent, une décision éminemment politique. Au même titre que l'ouverture commerciale et le démantèlement douanier, la surévaluation de la monnaie nationale, puisque c'est de cela essentiellement qu'il s'agit dans le cas d'une économie rentière, est une configuration porteuse des mêmes périls que ceux qu'on vient d'évoquer, de sorte que c'est la promotion d'un régime de croissance autonome de la rente qui s'en trouve fortement compromise. En effet, dans un régime rentier, le taux de change est un élément qui détermine dans une large mesure la nature du projet économique et politique que l'autorité politique se propose de mettre en œuvre. Souvent, dans ce type de régimes, c'est la logique distributive qui prend le dessus sur le reste. Cela se traduit dans les faits par une surévaluation structurelle de la monnaie nationale, surévaluation rendue possible par la disponibilité de la rente externe. Pour des raisons qui relèvent davantage de considérations politiques de légitimation ou de contrôle, la valeur de la monnaie nationale est instrumentalisée par l'État pour servir de moyen pour satisfaire les différentes demandes sociales qui lui sont adressées. La logique distributive, inhérente aux régimes rentiers, favorise la pratique d'un taux de change surévalué. A contrario, la sous-évaluation de la monnaie est une situation qui, bien que rarement observée dans le régime rentier, tend à contrecarrer la logique distributive. L'histoire économique récente de l'Algérie montre clairement que la politique de taux de change du dinar a joué un rôle déterminant dans l'orientation de la demande intérieure vers la production étrangère (importations) au détriment de la production domestique, qui s'en est trouvée du coup asphyxiée. De même qu'elle a sans doute grandement contribué à faire en sorte que l'allocation des capacités domestiques de production s'opère en faveur des activités à l'abri de la concurrence étrangère (services, BTP, ...) au détriment des activités industrielles et manufacturières en particulier. Nous retrouvons là, évidemment, une situation qui rappelle celle déjà prédite et abondamment décrite par la fameuse théorie du syndrome hollandais. Blocage des mécanismes de régulation par les prix La libération des prix et l'institutionnalisation de la concurrence sont formellement consacrées dès le début des années 90. La libération formelle des prix constitue une rupture majeure avec la logique administrative qui a toujours guidé la politique des prix en Algérie. Cependant, cette libération se trouve confrontée, dans son action, aux structures monopolistiques héritées du passé. Outre qu'elle contrarie, en maintenant inélastique l'offre, le rôle régulateur des prix, la segmentation de l'économie en monopôles de branche se traduit par la persistance de rentes de monopole. L'absence de structures économiques concurrentielles semble donc être le principal obstacle sur lequel bute la régulation par les prix. La mise en place de ces structures concurrentielles est plus facile à légiférer qu'à mettre en place. Par ailleurs, si la libéralisation opérée au début de la décennie 90 a considérablement élargi, en institutionnalisant la liberté des prix, le champ de l'échange marchand, il n'en demeure pas moins vrai que de ce champ demeurent encore exclues de larges gammes de produits et de services dont les prix continuent d'être administrés ou réglementés. En réalité, l'étendue de la sphère de l'échange marchand est fonction de la disponibilité de la rente : l'extension de l'échange marchand durant la décennie 90 fait suite au tarissement de la rente durant cette période, tarissement qui a entraîné la suppression des différentes subventions allouées pour maintenir les prix administrés. Avec le redressement durable des prix du pétrole, l'État semble avoir retrouvé les moyens financiers lui permettant, sinon de réduire, du moins contenir l'étendue de la sphère de l'échange marchand. Une diversité des formes de mise au travail Dans une économie en développement, et rentière de surcroît, comme celle de l'Algérie, le rapport salarial est loin de revêtir le statut d'institution centrale. Cela ne doit cependant pas occulter le fait que, dans tous les cas, les modalités de mobilisation de la main-d'œuvre jouent un rôle essentiel dans les processus de développement. D'une manière générale, les formes de mise au travail ont connu une évolution notable. Celle-ci porte aussi bien sur l'aspect formel de la codification juridique des rapports de travail que sur l'aspect réel de sa mise en œuvre. Du point de vue juridique, la nouvelle législation de travail constitue une rupture complète avec l'ancien dispositif dans la mesure où, d'une façon générale, elle introduit une plus grande flexibilité dans le fonctionnement du marché du travail. Mais il semble que cela n'ait pas suffit pour que le secteur industriel devienne performant. Il en est notamment ainsi du secteur public sur lequel les dispositions réglementaires légales semblent exclusivement s'appliquer puisque, dans le secteur privé (formel et informel), le marché du travail a un fonctionnement infiniment flexible et où les salaires, pour ne prendre que cet aspect de la relation de travail, se fixent à leur productivité marginale. Il convient enfin d'observer que dans le secteur public, les contraintes du rapport salarial demeurent encore de nos jours biaisées dans la mesure où dans ce secteur, les pratiques clientélistes prédominent à une large échelle. De l'ajustement structurel à la surliquidité monétaire Dans un régime rentier d'accumulation, la circulation de la rente passe par la médiation de la monnaie. La monnaie est la forme nécessaire d'existence de la rente, du moins sa forme dominante. Dans ce type de régimes, la création monétaire est contrainte entre autres par la nature de l'État. De cette dimension éminemment politique de la question monétaire découle la difficulté d'expliciter les conditions sous lesquelles la logique du politique peut rentrer en synergie avec la logique économique. D'un simple démembrement de l'État devant exécuter les décisions prises au niveau politique, le système bancaire connaîtra, avec la promulgation de la fameuse loi sur la monnaie et le crédit, de profonds changements formels, notamment en ce qui concerne les relations entre l'autorité politique et l'autorité monétaire. Les dispositions juridiques autorisent une autonomie relative de la Banque centrale et surtout une réhabilitation de la monnaie dans ses fonctions traditionnelles. Mais par-delà l'aspect formel, il y a lieu de noter que la gestion de la contrainte monétaire demeure fortement marquée par la conjoncture du marché pétrolier. On peut relever à cet égard deux périodes : les années 90, caractérisées par la prédominance des problèmes de balance de paiements, et les années 2000 et 2010, caractérisées, elles, par l'amélioration considérable des termes de l'échange. Dans un premier temps, donc, la politique monétaire se présente comme un élément de la politique de stabilisation et d'ajustement structurel. Le boom des années 2000 va, quant à lui, ouvrir une nouvelle phase et donner lieu à une situation inédite : la surliquidité monétaire. La politique monétaire va s'efforcer de stabiliser les prix en stérilisant les surplus. Outre le contrôle strict de la création monétaire, un autre élément caractérise la configuration du rapport monétaire : le crédit. Ce dernier se caractérise par son rationnement, son caractère de plus en plus accessible au secteur privé, et surtout la persistance, au niveau des banques publiques, d'un fait majeur : la mauvaise qualité du portefeuille des créances. A ce fait, on peut ajouter la contrainte, informelle, faite aux banques publiques, de prêter à des entités privées sans évaluation de la solvabilité de ces emprunteurs, ce qui constitue une nouvelle source de déficit. Enfin, on peut penser qu'une gestion centralisée du crédit, gestion qui en l'occurrence paraît possible en raison du caractère directement étatique d'une large majorité d'institutions bancaires, aurait vraisemblablement permis de créer un canal de transmission entre la volonté politique de l'État, quand celle-ci est porteuse d'un projet industriel national, et l'action économique des agents privés. Mais à voir la configuration du fonctionnement du système bancaire en Algérie, l'on ne peut que s'étonner du fait qu'en trois décennies de « réformes » et « contre-réformes », l'instrument du crédit, puissant outil dans la soumission du monde des affaires à la volonté économique de l'État, n'ait jamais été mobilisé, d'une façon ou d'une autre, par celui-ci. Il va sans dire qu'une gestion centralisée du crédit n'aurait eu pour but que l'encouragement de certains secteurs et activités en particulier, mais en l'absence d'un projet industriel, une telle gestion n'a pu être mise en œuvre. D'où le « spectacle » d'un système bancaire étatique livré à lui-même, fonctionnant à vue et croulant sous le poids de surliquidités oisives. Conclusion Le tableau qui vient d'être schématiquement dressé montre clairement qu'en matière d'arbitrages institutionnels, l'État algérien semble avoir opté pour une régulation dont la finalité se résume à une instrumentalisation politique de la rente. Il indique par la même la difficulté qu'éprouve le pays à se doter d'institutions à même de lui permettre de rompre le cordon ombilical qui lie l'économie à la rente externe. Contrer la crise nécessite aujourd'hui une reconfiguration profonde de l'ensemble des composantes institutionnelles de la régulation économique. Les configurations actuelles de la régulation économique et sociale n'ont fait que consolider le caractère rentier du régime de croissance, situation qui se manifeste par une trajectoire économique dont les éléments marqueurs se résument à un développement exponentiel des importations, un déclin manifeste de l'industrie, un développement des activités commerciales au détriment des activités productives et la persistance d'un chômage endémique. (*) : Professeur d'Économie, Université de Tizi-Ouzou.
« Actualité précédente
Tranquillité ébranlée
Actualité suivante »
quoi de nouveau chez les incorrigibles d'Annaba

Les Commentaires

Arbitrages institutionnels et instrumentalisation politique de la rente en Algérie
par Samir Bellal (*)


Les vulnérabilités structurelles de l'économie algérienne se révèlent dans un contexte institutionnel particulier qui, loin de constituer un facteur de résilience, rend l'entreprise de redressement économique socialement très coûteuse et politiquement porteuse de risques d'instabilité et de troubles.

Depuis 1999, le pays semble s'être résolument laissé emporter par une euphorie dépensière dont les conséquences se manifestent aujourd'hui par une situation où les ajustements à la marge se révèlent insuffisants pour faire face aux déficits. L'ampleur énorme de ces derniers est le produit d'une politique laxiste populiste qui s'est, pour ainsi dire, naturellement imposée à la faveur des facilités larges qu'offrait l'embellie financière entre 2000 et 2015. Expression d'un compromis social largement partagé, ou ne souffrant, en apparence, d'aucune contestation, le populisme constitue aujourd'hui l'obstacle politique majeur au changement. Quels sont les éléments constitutifs de ce compromis populiste qui rend aujourd'hui l'entreprise de sortie de crise des plus difficiles et des plus incertaines ?

D'une manière générale, ce compromis a pour fondement la nature rentière du régime de croissance. En termes empiriques, ce caractère rentier se donne aisément à lire dans les statistiques relatives à la structure-ressources du PIB, la part de la rente externe dans les ressources budgétaires de l'État ainsi que dans la structure des exportations. Mais par-delà les statistiques, le compromis dont il est question se présente comme un ensemble homogène de codifications (formelles et informelles) des principaux rapports sociaux à l'œuvre dans le champ économique et social. Ces codifications présentent la particularité d'être fondamentalement les mêmes que celles qui prévalaient lors de la crise survenue au milieu des années 80, au point où il peut sembler permis de parler d'une certaine permanence ou continuité dans le contexte institutionnel de la crise. Ce dernier présente une configuration dont les éléments constitutifs rappellent étrangement ceux auxquels nombre d'économies rentières ont habituellement à faire face en périodes de crise.

Au premier rang de ces éléments, il y a l'État, à travers ses choix budgétaires. Les autres éléments constitutifs renvoient respectivement, et selon un ordre hiérarchique convenu, au mode d'insertion de l'économie nationale dans la division internationale du travail, au mode de formation des prix et de la concurrence, aux formes de mise au travail et aux formes que prend concrètement la gestion de la contrainte monétaire.

Un budget dominé par la rente

Comme dans les années 70 et 80, le budget de l'État continue de constituer, dans le fonctionnement d'ensemble de l'économie, le point d'articulation entre le secteur des hydrocarbures et le reste de l'économie, non seulement parce que celui-ci demeure essentiellement alimenté par la fiscalité pétrolière, mais aussi parce que c'est toujours par le biais de ce budget que circule l'essentiel de la rente pétrolière. Structurellement, le budget de l'État reste fortement dépendant des prix des hydrocarbures sur le marché mondial. La structure budgétaire reste donc marquée par le poids de la fiscalité pétrolière. Le boom pétrolier survenu en 2000 a induit une situation nouvelle sur le plan de la disponibilité des ressources budgétaires. Depuis 2000, celles-ci ont en effet plus que doublé, pour atteindre des niveaux jamais égalés.

Afin de mieux gérer ce cycle de la rente pétrolière en prévenant les effets de la volatilité du prix du baril, un fonds de régulation des recettes est institué en 2000. Ce fonds, destiné à recevoir les plus-values de la fiscalité pétrolière, a reçu des montants considérables.

Du côté des dépenses budgétaires, on observe, en premier lieu, que le budget de l'État continue de prendre en charge de lourdes dépenses sociales, à travers notamment le soutien des prix des produits de large consommation, le financement du logement et les transferts sociaux. En second lieu, on observe que le secteur public économique continue toujours de constituer une charge très lourde pour le budget de l'État qui supporte inlassablement les pertes des entreprises déficitaires. Les déficits des entreprises publiques alourdissent les portefeuilles des banques, elles-mêmes publiques, obligeant le Trésor public à recapitaliser périodiquement ces dernières. Enfin, dans un régime où l'essentiel des ressources budgétaires provient de la rente pétrolière, l'État est fatalement confronté, à travers les compromis budgétaires, aux deux impératifs classiques : l'impératif économique de financement de l'accumulation et l'impératif politique de redistribution. La question est alors de savoir lequel des deux impératifs a prévalu dans la dynamique budgétaire de ces deux dernières décennies. La réponse à cette question n'est pas évidente parce que la nature du compromis institutionnalisé demeure, à l'image de la rente, ambiguë. En théorie, ce balancement entre les deux impératifs se résout en fonction du degré d'intensité de l'impératif de légitimation du régime politique en place, d'un côté, et du degré de la capacité de ce régime de contrôler et de mobiliser la société, de l'autre. Depuis 2011, et avec l'avènement de ce qu'on a convenu d'appeler « le printemps arabe », l'impératif politique de la redistribution semble l'avoir largement emporté sur l'impératif économique de l'accumulation.

Une insertion internationale portée par des logiques «extractives»

Le mode d'insertion internationale de l'économie a plusieurs composantes. Nous nous intéressons ici à la question des échanges commerciaux avec le reste du monde, l'investissement direct étranger et, question souvent occultée dans les débats publics, la gestion du taux de change de la monnaie nationale. Le fait marquant à relever est une ouverture inconsidérée des frontières économiques du pays et un renforcement de l'insertion par les hydrocarbures. Le pays peine véritablement à trouver un antidote à l'intoxication pétrolière. En effet, la décennie 90 sera caractérisée par l'amorce d'un processus rapide et brusque d'ouverture extérieure, suite à des pressions externes. Dès 1991, le monopole de l'État sur le commerce extérieur est supprimé. Cette ouverture fut renforcée dans le cadre de l'accord d'association avec l'Union européenne, contraignant le pays à une libéralisation extrême de son commerce extérieur. Les effets de l'intoxication pétrolière sur la structure des exportations, loin de diminuer, se sont même renforcés. Les données statistiques montrent en effet que le secteur des hydrocarbures demeure le facteur essentiel de l'insertion internationale de l'économie algérienne, tendance que la politique de libéralisation a, selon toute apparence, aggravée.

Cependant, sur un plan macroéconomique, l'avènement d'une conjoncture favorable sur le marché pétrolier mondial à partir de 1999 permet au pays de consolider sa position extérieure au point où il devient, à partir de 2002, un créancier net sur le reste du monde puisque le montant des réserves de change est désormais supérieur à celui de la dette extérieure, tendance qui se maintiendra jusqu'à nos jours. L'investissement direct étranger (IDE), autre élément essentiel du mode d'insertion dans l'économie mondiale, fait l'objet, depuis 1999, d'un intérêt politique sans commune mesure avec son déploiement réel. La présence de ce type d'investissement s'est révélée fort modeste, pour ne pas dire décevante. Un bilan sommaire des deux dernières décennies de présence du capital étranger en Algérie permet de faire ressortir essentiellement deux éléments : une présence fort timide par son volume (01% du PIB par an en moyenne) et un déploiement sectoriel porté par une logique davantage « extractive » que créatrice de valeur. Fait notable, les IDE se sont rarement portés sur le secteur dit des « échangeables ». Globalement, les IDE ont agi comme de véritables pompes à aspirer les liquidités internationales du pays.

Il convient cependant d'admettre que si le déploiement du capital étranger présente une telle configuration, c'est particulièrement parce que l'IDE en Algérie n'est pas soumis à des priorités nationales. L'absence de régulation étatique au niveau des orientations sectorielles des investissements ainsi qu'au niveau du régime des participations expliquent sans doute la prédominance du caractère essentiellement « extractif » de l'investissement étranger. La prédominance du comportement de recherche de rente qui caractérise l'action du capital étranger n'est par ailleurs pas l'apanage de ce dernier : elle est inhérente à l'ensemble des acteurs de l'accumulation, à commencer par le capital privé national.

Ce qui vient d'être dit des contraintes liées à l'ouverture commerciale peut être étendu à l'autre composante constitutive de l'insertion internationale : le taux de change. La détermination du taux de change est, contrairement à ce que l'on entend souvent, une décision éminemment politique. Au même titre que l'ouverture commerciale et le démantèlement douanier, la surévaluation de la monnaie nationale, puisque c'est de cela essentiellement qu'il s'agit dans le cas d'une économie rentière, est une configuration porteuse des mêmes périls que ceux qu'on vient d'évoquer, de sorte que c'est la promotion d'un régime de croissance autonome de la rente qui s'en trouve fortement compromise.

En effet, dans un régime rentier, le taux de change est un élément qui détermine dans une large mesure la nature du projet économique et politique que l'autorité politique se propose de mettre en œuvre. Souvent, dans ce type de régimes, c'est la logique distributive qui prend le dessus sur le reste. Cela se traduit dans les faits par une surévaluation structurelle de la monnaie nationale, surévaluation rendue possible par la disponibilité de la rente externe. Pour des raisons qui relèvent davantage de considérations politiques de légitimation ou de contrôle, la valeur de la monnaie nationale est instrumentalisée par l'État pour servir de moyen pour satisfaire les différentes demandes sociales qui lui sont adressées. La logique distributive, inhérente aux régimes rentiers, favorise la pratique d'un taux de change surévalué.

A contrario, la sous-évaluation de la monnaie est une situation qui, bien que rarement observée dans le régime rentier, tend à contrecarrer la logique distributive.

L'histoire économique récente de l'Algérie montre clairement que la politique de taux de change du dinar a joué un rôle déterminant dans l'orientation de la demande intérieure vers la production étrangère (importations) au détriment de la production domestique, qui s'en est trouvée du coup asphyxiée. De même qu'elle a sans doute grandement contribué à faire en sorte que l'allocation des capacités domestiques de production s'opère en faveur des activités à l'abri de la concurrence étrangère (services, BTP, ...) au détriment des activités industrielles et manufacturières en particulier. Nous retrouvons là, évidemment, une situation qui rappelle celle déjà prédite et abondamment décrite par la fameuse théorie du syndrome hollandais.

Blocage des mécanismes de régulation par les prix

La libération des prix et l'institutionnalisation de la concurrence sont formellement consacrées dès le début des années 90. La libération formelle des prix constitue une rupture majeure avec la logique administrative qui a toujours guidé la politique des prix en Algérie. Cependant, cette libération se trouve confrontée, dans son action, aux structures monopolistiques héritées du passé. Outre qu'elle contrarie, en maintenant inélastique l'offre, le rôle régulateur des prix, la segmentation de l'économie en monopôles de branche se traduit par la persistance de rentes de monopole. L'absence de structures économiques concurrentielles semble donc être le principal obstacle sur lequel bute la régulation par les prix. La mise en place de ces structures concurrentielles est plus facile à légiférer qu'à mettre en place.

Par ailleurs, si la libéralisation opérée au début de la décennie 90 a considérablement élargi, en institutionnalisant la liberté des prix, le champ de l'échange marchand, il n'en demeure pas moins vrai que de ce champ demeurent encore exclues de larges gammes de produits et de services dont les prix continuent d'être administrés ou réglementés.

En réalité, l'étendue de la sphère de l'échange marchand est fonction de la disponibilité de la rente : l'extension de l'échange marchand durant la décennie 90 fait suite au tarissement de la rente durant cette période, tarissement qui a entraîné la suppression des différentes subventions allouées pour maintenir les prix administrés. Avec le redressement durable des prix du pétrole, l'État semble avoir retrouvé les moyens financiers lui permettant, sinon de réduire, du moins contenir l'étendue de la sphère de l'échange marchand.

Une diversité des formes de mise au travail

Dans une économie en développement, et rentière de surcroît, comme celle de l'Algérie, le rapport salarial est loin de revêtir le statut d'institution centrale. Cela ne doit cependant pas occulter le fait que, dans tous les cas, les modalités de mobilisation de la main-d'œuvre jouent un rôle essentiel dans les processus de développement. D'une manière générale, les formes de mise au travail ont connu une évolution notable. Celle-ci porte aussi bien sur l'aspect formel de la codification juridique des rapports de travail que sur l'aspect réel de sa mise en œuvre. Du point de vue juridique, la nouvelle législation de travail constitue une rupture complète avec l'ancien dispositif dans la mesure où, d'une façon générale, elle introduit une plus grande flexibilité dans le fonctionnement du marché du travail. Mais il semble que cela n'ait pas suffit pour que le secteur industriel devienne performant.

Il en est notamment ainsi du secteur public sur lequel les dispositions réglementaires légales semblent exclusivement s'appliquer puisque, dans le secteur privé (formel et informel), le marché du travail a un fonctionnement infiniment flexible et où les salaires, pour ne prendre que cet aspect de la relation de travail, se fixent à leur productivité marginale.

Il convient enfin d'observer que dans le secteur public, les contraintes du rapport salarial demeurent encore de nos jours biaisées dans la mesure où dans ce secteur, les pratiques clientélistes prédominent à une large échelle.

De l'ajustement structurel à la surliquidité monétaire

Dans un régime rentier d'accumulation, la circulation de la rente passe par la médiation de la monnaie. La monnaie est la forme nécessaire d'existence de la rente, du moins sa forme dominante. Dans ce type de régimes, la création monétaire est contrainte entre autres par la nature de l'État. De cette dimension éminemment politique de la question monétaire découle la difficulté d'expliciter les conditions sous lesquelles la logique du politique peut rentrer en synergie avec la logique économique. D'un simple démembrement de l'État devant exécuter les décisions prises au niveau politique, le système bancaire connaîtra, avec la promulgation de la fameuse loi sur la monnaie et le crédit, de profonds changements formels, notamment en ce qui concerne les relations entre l'autorité politique et l'autorité monétaire. Les dispositions juridiques autorisent une autonomie relative de la Banque centrale et surtout une réhabilitation de la monnaie dans ses fonctions traditionnelles. Mais par-delà l'aspect formel, il y a lieu de noter que la gestion de la contrainte monétaire demeure fortement marquée par la conjoncture du marché pétrolier. On peut relever à cet égard deux périodes : les années 90, caractérisées par la prédominance des problèmes de balance de paiements, et les années 2000 et 2010, caractérisées, elles, par l'amélioration considérable des termes de l'échange.

Dans un premier temps, donc, la politique monétaire se présente comme un élément de la politique de stabilisation et d'ajustement structurel. Le boom des années 2000 va, quant à lui, ouvrir une nouvelle phase et donner lieu à une situation inédite : la surliquidité monétaire. La politique monétaire va s'efforcer de stabiliser les prix en stérilisant les surplus.

Outre le contrôle strict de la création monétaire, un autre élément caractérise la configuration du rapport monétaire : le crédit. Ce dernier se caractérise par son rationnement, son caractère de plus en plus accessible au secteur privé, et surtout la persistance, au niveau des banques publiques, d'un fait majeur : la mauvaise qualité du portefeuille des créances. A ce fait, on peut ajouter la contrainte, informelle, faite aux banques publiques, de prêter à des entités privées sans évaluation de la solvabilité de ces emprunteurs, ce qui constitue une nouvelle source de déficit. Enfin, on peut penser qu'une gestion centralisée du crédit, gestion qui en l'occurrence paraît possible en raison du caractère directement étatique d'une large majorité d'institutions bancaires, aurait vraisemblablement permis de créer un canal de transmission entre la volonté politique de l'État, quand celle-ci est porteuse d'un projet industriel national, et l'action économique des agents privés. Mais à voir la configuration du fonctionnement du système bancaire en Algérie, l'on ne peut que s'étonner du fait qu'en trois décennies de « réformes » et « contre-réformes », l'instrument du crédit, puissant outil dans la soumission du monde des affaires à la volonté économique de l'État, n'ait jamais été mobilisé, d'une façon ou d'une autre, par celui-ci. Il va sans dire qu'une gestion centralisée du crédit n'aurait eu pour but que l'encouragement de certains secteurs et activités en particulier, mais en l'absence d'un projet industriel, une telle gestion n'a pu être mise en œuvre. D'où le « spectacle » d'un système bancaire étatique livré à lui-même, fonctionnant à vue et croulant sous le poids de surliquidités oisives.

Conclusion

Le tableau qui vient d'être schématiquement dressé montre clairement qu'en matière d'arbitrages institutionnels, l'État algérien semble avoir opté pour une régulation dont la finalité se résume à une instrumentalisation politique de la rente. Il indique par la même la difficulté qu'éprouve le pays à se doter d'institutions à même de lui permettre de rompre le cordon ombilical qui lie l'économie à la rente externe. Contrer la crise nécessite aujourd'hui une reconfiguration profonde de l'ensemble des composantes institutionnelles de la régulation économique. Les configurations actuelles de la régulation économique et sociale n'ont fait que consolider le caractère rentier du régime de croissance, situation qui se manifeste par une trajectoire économique dont les éléments marqueurs se résument à un développement exponentiel des importations, un déclin manifeste de l'industrie, un développement des activités commerciales au détriment des activités productives et la persistance d'un chômage endémique.

(*) : Professeur d'Économie, Université de Tizi-Ouzou.
Pour ajouter un commentaire, vous devez être membre de notre site !

Identifiez-vous :


Ou Inscrivez-vous gratuitement !

Dernières brèves

Articles similaires