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La trappe de l'autoritarisme par Derguini Arezki En écoutant la grand-mère qui compare souvent son passé de

Publié le 26/06/2023
La trappe de l'autoritarisme par Derguini Arezki En écoutant la grand-mère qui compare souvent son passé de fille et de jeune fille du temps colonial au présent de sa fille, mon père lui faisait remarquer qu'en sa jeunesse, on produisait tout ou presque par soi-même, alors que maintenant les femmes au foyer ont beaucoup de personnes qui font le travail pour elle. Beaucoup de personnes étrangères. De nombreuses tâches domestiques ne sont plus le fait du travail féminin : par le biais d'équipements domestiques un travail industriel est internalisé dans l'économie domestique, par le biais de travailleurs salariés des tâches domestiques sont externalisées. La division sexuelle du travail est comme externalisée, bien que la concurrence étant la règle dans l'économie marchande et les tâches n'étant plus en général réservées d'avance, la place dans la division du travail dépend du capital avancé qui est inégalement réparti. Plus la société est riche, la division sexuelle se retrouve moins dans l'économie domestique que dans l'économie marchande. Dans une large mesure, les femmes peuvent donc disputer aux hommes les tâches de l'économie marchande. Dans notre société riche en pétrole, l'énergie fossile s'est substituée facilement à l'énergie humaine[1]. Les femmes peuvent désormais avoir double emploi. Elles peuvent s'extraire du travail domestique, si le service qu'elles offrent à la société leur permet d'acheter les services marchands attachés à la personne, en substituant du travail salarié au travail domestique. Dans notre pays, la disponibilité d'une énergie fossile à bon marché a permis l'importation et l'usage de nombreuses machines, de nombreux appareils domestiques, la substitution d'un travail domestique par un travail étranger. Du travail pour soi au travail pour autrui La vie d'aujourd'hui est beaucoup moins rude, beaucoup de tâches pénibles ne sont plus attachées au travail humain, mais elles n'ont pas disparu partout, elles subsistent là où l'énergie n'a pu être détachée du travail humain. Mais la vie est autrement difficile, travailler pour autrui diffère de travailler pour soi-même, car il faut désormais faire avec un monde complexe et une rude compétition. L'énergie fossile bon marché nous épargne la rude compétition, nous pouvons obtenir des autres ce que nous ne pouvons produire. Mais la vie peut être très difficile pour les populations qui ne peuvent s'épargner une telle compétition et ne peuvent entrer en concurrence sur le marché. Il ne s'agit plus de répartir le travail entre les quelques personnes de l'économie domestique, il s'agit de travailler pour autrui, pour personne et tout le monde. Il s'agit de mettre le monde, et non plus la famille, en ordre de travail. La compétition est d'autant plus rude que la division du travail est étendue et discontinue, que le marché du travail se polarise et que la progression d'une position à une autre est difficile. Le continuum du travail dont nous dépendons aujourd'hui se situe largement à l'étranger. Nous dépendons davantage du travail étranger que du travail indigène. Le travail indigène est incapable de se reproduire par lui-même, il ne peut assurer le minimum vital. Son continuum ne se boucle pas à l'intérieur du continuum du travail duquel il dépend. Le pari industriel étatiste a compté sur l'agriculture mondiale, n'ayant pas réussi à inscrire une industrie nationale dans la division internationale du travail, il a privé la société d'une agriculture de subsistance qui se révèle aujourd'hui vitale. Un rapport au monde qui ne fait pas société Dans cette mise en ordre du monde, le rapport du travailleur est d'abord un rapport au monde que le rapport à la société se charge d'accomplir. Ce de quoi dépend la vie d'un individu qui est distendu entre une énergie fossile et une industrie étrangère n'est plus local. Aussi, ce n'est pas l'État/la société qui configure le rapport de l'individu au monde, c'est le rapport au monde de l'individu qui configure le rapport de la société/l'État à l'individu. Un rapport distendu. On ne fait pas société d'abord puis monde, on fait monde d'abord et société ensuite, si ce n'est dans le même temps. On ne peut plus se représenter une société hors du monde avec les rapports d'interdépendance d'aujourd'hui. En se logeant dans le monde on fait société. En faisant société on se loge dans le monde. Une société porte toujours un monde dans lequel elle se projette, elle est toujours portée par un monde qui la comprend. Entre le monde que les sociétés postcoloniales portent et celui qui les porte, on ne peut distinguer que celui qui les porte. C'est ainsi le monde qui impose aux sociétés postcoloniales une administration autoritaire. Leur rapport au monde, parce que distendu, passe par un régime militaire pour faire société. La division du travail ne fait pas se compléter la société. L'administration du monde s'impose aux sociétés postcoloniales qui n'ont pas eu la possibilité de s'administrer elles-mêmes, de s'inscrire dans un monde qui les comprendrait mieux. Car l'écart entre l'administration que le monde attend de la société pour l'intégrer, la faire sienne, et l'administration du monde qu'elle aurait pu attendre d'elle-même n'est pas discernable, ni le chemin pour le refermer. La société se bat contre un monde injuste, mais seulement parce qu'elle en est la victime. La victime se transforme en bourreau du fait qu'elle ne porte pas une nouvelle administration du monde et méconnait le chemin qui peut y conduire à partir de son état actuel. Le chemin à parcourir la conduisant de l'état actuel au nouvel état désiré, se transformant jusqu'au point de transformer le monde. Les nationalismes n'oublient pas la réalité selon laquelle une société se loge dans le monde, ils empruntent ses institutions. S'ils échouent à obtenir un meilleur logement pour leur société dans le monde, c'est qu'ils n'ont pas compris qu'une telle administration était un choix dicté par les circonstances. La société a accepté l'administration autoritaire que lui impose son rapport au monde, car les institutions qu'elle a adoptées ne sont pas de sa fabrique, mais les élites dirigeantes ont fait l'erreur de penser cette administration comme étant la sienne, non celle que leur proposait le monde, celle qu'elle était obligée d'accepter en tant que société déstructurée pour faire société cohérente et se restructurer. Autrement dit, accepter cette administration autoritaire, mais pour se loger autrement dans un autre monde. L'autoritarisme résulte des faits que la société porte un monde qui la porte et n'est pas le sien. Il persiste parce que la société n'a pas su opposer un monde à celui qui n'était pas le sien, un monde qui lui donne sa cohésion. Elle a poursuivi la destruction de ses bases arrière qui ne le contenait plus qu'en germe. Sans base arrière, elle ne pouvait reprendre à son compte l'organisation du monde. Pour exister, il faut différer, innover, jusqu'à ce que le monde change de par ces innovations et fasse place à une autre société, une société portée par un autre monde. On distinguera parmi les sociétés précapitalistes, les sociétés antiques et les sociétés féodales. Les sociétés postcoloniales ne sont pas entrées dans le capitalisme par une différenciation sociale ni à partir des sociétés antiques ni à partir des sociétés féodales. Elles sont entrées par une différenciation perturbée. Le monde qu'elles portaient était déstructuré, il ne prolongeait ni le monde antique ni le monde féodal. Il n'a pas pu s'incorporer les éléments du monde capitaliste et se transformer avec cette incorporation. Les sociétés postcoloniales sont ainsi coincées dans un mimétisme auquel ne peut succéder de l'innovation. L'énergie fossile et la rupture de l'interdépendance sociale. Le rapport au monde s'est particulièrement compliqué pour les sociétés postcoloniales avec l'énergie fossile qui dissocie le travail humain de l'énergie humaine. L'énergie fossile ne s'est pas substituée à l'énergie humaine et la mécanisation n'a pas mécanisé le travail social. Elle a permis l'introduction massive d'un travail étranger dans le travail indigène. La division sociale du travail ne s'est pas étendue avant de se mécaniser. La transformation du procès de travail a été brutale et non graduelle au contraire des sociétés industrielles. L'urbanisation massive a écrasé la division du travail. L'usage de l'énergie fossile a aggravé la déprise du travail indigène sur le processus de mécanisation du travail. Travail objectif et travail subjectif ont perdu leur unité. Il n'y a pas eu approfondissement et extension de la division sociale du travail, il y a eu aggravation de la distorsion du continuum du travail, la société n'a pu faire corps de par sa division du travail. La dépendance extérieure a surclassé l'interdépendance sociale. Le travail humain en se mécanisant grâce à l'énergie fossile accroit sa puissance productive. L'énergie fossile relègue brutalement l'énergie humaine dans certaines activités, le travail humain et l'énergie humaine ne sont plus associés qu'aux deux bouts de la chaîne du travail, aux extrémités du travail intellectuel et manuel pour les sociétés riches, à un seul bout pour les autres. Il faut désormais compter avec des machines dans la chaîne du travail humain, un travail mécanisé importé a été accolé à un travail humain local, un travail objectivé allogène s'est mêlé à un travail subjectif local déficient, un travail objectivé qui a eu pour effet principal de disperser le travail social et de le reléguer à son extrémité non qualifiée. Car là où les machines sont produites comme travail humain objectivé, le continuum du travail (objectif et subjectif) n'est pas rompu. Là où elles sont importées, le travail objectivé hétérogène au travail subjectif doit être internalisé et assimilé par ce dernier. Le travail social en s'appropriant les machines, un travail objectivé hétérogène, doit se reconnaître dans cette objectivation mécanique comme une objectivation de lui-même. Le continuum du travail social est nécessaire à sa cohérence, à sa reproduction simple et élargie. Cohérent, sa différenciation ne menace pas son unité. Autrement, le travail local est intégré à un autre travail social qui s'accumule et l'instrumentalise comme moyen de sa réalisation, travail de consommation finale, débouché pour sa production. Le travail local réalise ainsi le travail étranger (consomme la production du travail étranger) sans se réaliser lui-même en tant que travail indépendant, sans ajouter de production propre. L'énergie sociale source primaire de l'énergie force de travail L'économie domestique (traditionnelle) internalisait des outils, l'économie sociale (moderne) internalise des machines, du travail objectivé du monde entier. L'économie domestique fonctionnait aux énergies renouvelables, l'économie sociale aux énergies fossiles. Les comptes de l'économie domestique sont simples, ceux de l'économie d'une société sont construits. L'économie sociale accroit sa capacité productive, mais non son énergie. L'usage de l'énergie fossile à la place de l'énergie humaine n'a pas toujours les mêmes conséquences. L'énergie sociale peut s'en trouver affaiblie, se réfugiant dans l'extrémité non qualifiée du travail. Le consumérisme qui se focalise sur la production oublie l'essentiel : c'est de l'énergie sociale, de sa mobilisation, que dépend la mise en œuvre fructueuse de l'énergie fossile. La croissance de la production matérielle ne peut alors être un indicateur de la mobilisation de l'énergie sociale. L'énergie fossile n'objective pas le travail, c'est le travail subjectif porté par l'énergie sociale qui s'objective en séparant le geste humain de l'énergie humaine, le travail comme savoir-faire du corps humain, pour user de l'énergie et multiplier sa puissance. La confusion du travail avec l'énergie, sa non-définition comme savoir-faire, a été lourde de conséquences. L'énergie fossile est seulement dans le cas le plus favorable un multiplicateur de l'énergie sociale. Le système de machines n'est qu'une exosomatisation du corps social (Bernard Stiegler), son exosquelette (Jean Pierre Jancovici). Séparé du corps social, il ne peut être ni produit ni entretenu par l'énergie fossile. Dans le cas le plus défavorable en prenant la place de l'énergie humaine, l'énergie fossile disperse l'énergie sociale. L'énergie, d'origine extérieure, se définit comme la capacité de transformer le milieu dans lequel elle agit. L'énergie fossile, extérieure au travail humain, peut produire dans le travail plus de désordre que d'ordre. Par exemple, la voiture et le smartphone introduisent plus de désordre que d'ordre dans la vie de leurs usagers postcoloniaux. Ils sont rarement consommés à leur place. Ils dispersent l'énergie sociale au lieu d'étendre son rayon d'action. L'énergie fossile ne produit de synergie que quand elle s'inscrit en complément, en multiplicateur, de l'énergie sociale et non en concurrence. On ne saurait réduire l'énergie sociale à la force de travail. La force de travail a été magnifiée par le marxisme : elle produirait plus qu'elle ne consomme. En vérité, elle consomme plus qu'elle ne produit. Elle consomme moins que ce qu'elle produit, à condition de ne pas compter ce qu'elle consomme et ne produit pas. Cette vérité est aujourd'hui patente avec la crise climatique. Car quelles forces ou énergies peuvent se soustraire aux lois de la physique et donner plus qu'elles ne reçoivent ? La réponse est qu'à moins qu'elle ne reçoive plus qu'elle ne compte. L'énergie sociale réside dans la foi, dans la fermeté des croyances et des désirs qui émanent de l'expérience sociale. N'allons donc pas séparer la foi du savoir à la suite d'une certaine pensée rationaliste, mais pensons leur opposition complémentaire plutôt que leur exclusion mutuelle. La foi et les croyances offrent les hypothèses au savoir, le savoir affermit ou affaiblit, confirme ou infirme des croyances. La foi et le savoir peuvent aussi s'obscurcir. La force de travail n'est qu'une déclinaison de l'énergie sociale. Que cela soit en tant qu'énergie ou savoir-faire séparés ou confondus. La force de travail est parcourue par une énergie sociale et tramée par un savoir-faire social. La trappe de l'autoritarisme Il importait pour l'autoritarisme comme première confrontation des sociétés postcoloniales aux puissances établies de capter cette énergie sociale, de la mettre dans un champ qui puisse l'entretenir et de la canaliser dans des circuits qui puissent la discipliner et multiplier sa puissance. Le travail objectivé (le capital) animé par l'énergie fossile ne constitue qu'une arme de la compétition. C'est à celui qui s'en servira le mieux. C'est le combat qui détermine les armes dont il faut user, ce ne sont pas les armes qui décident du combat. Deux versions s'opposent, celle du colonisateur mieux armé qui fait primer les armes sur le combat et celle du colonisé désavantagé qui fait primer le combat sur les armes. Sans énergie sociale qui la suppose, l'énergie fossile usera mal des armes de la compétition et n'accumulera pas des forces. Sortir du rapport de forces postcolonial dont l'autoritarisme est l'ajustement, suppose que le modèle qui gouverne la société ait perdu de son extériorité. Il n'a plus besoin de s'imposer, il a été assimilé et transformé au point de ne plus se distinguer du fonctionnement de la société. La loi et son application n'ont plus besoin d'une politique discrétionnaire pour aller du législatif à l'exécutif. Socialisme ou libéralisme ne planent plus au-dessus de la société, ils sont des concrétions de la société. Sortir de l'autoritarisme ne consiste donc pas dans une participation du plus grand nombre à la consommation, il consiste d'abord à intérioriser les règles de fonctionnement du monde par la société, à s'accorder avec le monde pour accorder le monde à soi. Dans ce processus d'intériorisation des règles de fonctionnement du monde, l'autoritarisme est le point de départ des sociétés postcoloniales. Ce que j'appellerais la trappe de l'autoritarisme se définit comme l'échec de la société à accorder le monde avec elle-même qui s'amorce dans un échec de l'intériorisation des règles de fonctionnement du monde. De l'énergie sociale à l'énergie fossile Qu'est le travail sans l'énergie ? Il est savoir-faire. Que sont les machines ? Du travail, une série de tâches, du savoir-faire, un programme objectivé, mécanisé. Que deviennent les machines sans l'énergie ? C'est de l'énergie fossile disponible que dépend le fonctionnement des machines, mais c'est du travail social que dépend leur existence. Et c'est de l'économie de l'énergie humaine que naît la machine, le geste parfait, le savoir-faire. La machine ne sort pas de la tête de l'ingénieur, mais de sa tête et des gestes du travailleur. La relation du travail et de la machine dépend de leur complémentarité ou de leur opposition. La viabilité d'une société dépend de sa capacité à rapporter sa mécanique à la disponibilité de son énergie. Elle ne dépend pas d'abord de son travail objectivé. Ce dernier n'est qu'une partie de sa mécanique. La mécanique sociale concerne tout ce que la société effectue automatiquement, tout ce qui fait son corps mécanique, telles les routines et les habitudes sociales. Sans une telle disponibilité de l'énergie fossile, le travail subjectif, unité humaine du travail (comme savoir-faire) et de l'énergie, n'a pas de raison de s'objectiver, de se mécaniser, de dissocier le travail mécanique de l'énergie humaine. Le travail mécanique précède la dissociation du travail et de l'énergie humaine. L'énergie fossile ne fait que prendre le relai de l'énergie humaine pour mettre en œuvre le travail mécanique alors objectivé. La dissociation du travail et de l'énergie, étant précédée par celle du savoir-faire et du corps humain. Les sociétés ont donc tort de se focaliser sur la puissance productive aux dépens de l'énergie et du savoir-faire humains. C'est l'énergie qui transforme le monde, le savoir-faire en multiplie la capacité, pour le pire et le meilleur. Lorsque l'énergie non renouvelable minore l'énergie renouvelable, il y a du souci à se faire. L'énergie non renouvelable doit valoriser celle renouvelable. Et on a tort d'oublier l'énergie humaine dans l'énergie non renouvelable. Elle a une autre place que dans la fonction de production, car elle ne se réduit pas à un facteur de production. Elle est aussi dans le désir de travailler, dans les préférences sociales, elle n'est pas dissociable du travail subjectif, à la différence du savoir-faire et de la pure énergie motrice. Elle porte par exemple au sacrifice, sa déficience à la démission, au suicide. C'est l'énergie humaine en tant qu'énergie sociale qui porte au mouvement, ainsi l'énergie de l'espoir ou du désespoir. La division du travail selon Adam Smith Mais qu'est-ce qui fait que des tâches sont plus recherchées que d'autres, que peu de gens peuvent assurer ? C'est la position qu'elles nous accordent dans la division du travail. Une position qui progresse et nous fait délaisser les tâches les moins gratifiantes pour celles qui le sont le plus. Mais qu'est cette gratification ? Le plaisir de l'utilitarisme et la puissance comme pouvoir de commander. Le pouvoir de commander au plus grand nombre d'humains et de non humains pour répondre à des désirs illimités. Comment accroitre un tel pouvoir ? En accroissant le pouvoir des humains et non humains auxquels nous pouvons commander. D'abord celui des humains ou des non-humains ou simultanément ? Dans la chaîne de commandement, humains et non-humains se tiennent, le maillon le plus faible décidera de la force de la chaîne. La puissance de la chaîne dépendra de son étendue et de la force de ses maillons, qui eux-mêmes dépendront de la place que la chaîne aura parmi les autres chaînes. Une chaîne de commandement ne peut se développer indépendamment des autres chaînes qui tiennent le monde. Pour exister, elle devra s'attacher à une chaîne existante, être en mesure de se développer, puis de dissocier et de s'associer à d'autres chaînes. Travail et contemplation étaient jadis opposés, travail manuel et travail intellectuel, travail et loisirs aujourd'hui. Les socialistes rêvent d'une société de loisirs. Mais quelle société de loisirs, celle d'une société où travail et loisirs interagissent ou celle où elles sont séparées ? Dans ces dernières, le pouvoir de commander au travail aura tendance à externaliser le travail. Elles accorderont les loisirs pour des sociétés, le travail pour d'autres. Cela correspond bien à la société de classes, mais est-ce là le fonctionnement naturel des choses ? La société de loisirs se bat pour se défaire des tâches non gratifiantes, pour les reporter sur des travailleurs non humains ou humains d'autres sociétés. Elle n'hésite pas à utiliser la force quand celle-ci s'avère économique. La division du travail ne l'intéresse vraiment que comme moyen de commander au travail d'autrui, que quand les tâches dont elle s'occupe qui mêlent travail et loisirs lui permettent de se décharger des tâches qui ne sont que travail dont elle ne veut pas. Le fonctionnement naturel suppose une interaction du travail et des loisirs, ils s'opposent et se complètent, parfois se dissociant pour se renouveler et parfois s'interpénétrant pour se féconder. Ainsi quand l'amour se mêle du travail. Nous nous chargeons alors d'une tâche non pour nous défaire d'autres tâches, même si nous avons tendance à les minorer. Car qui aime une chose les préfère aux autres. Le principe de plaisir n'est pas absent, mais le travail n'est plus déplaisir. Ou déplaisir qui nous fait mieux gouter au plaisir. Car comment séparer plaisir et déplaisir, joie et tristesse ? Un terme peut-il exister sans l'autre ? D'aimer une tâche, d'aimer et de se sentir aimé, nous font autrement apprécier les autres. Sans un tel fonctionnement naturel, la puissance de la chaîne de commandement est menacée de ruptures. En règle générale donc, l'aiguillon qui pousse l'individu de la société de classes à progresser dans la division du travail, c'est celui de ne pas rester le dernier de la classe (ou de la société) qui sera chargé des corvées, mais celui d'être parmi les premiers qui pourront choisir parmi les tâches celles qui leur épargneront les nombreuses tâches de la classe (ou de la société) qui doivent assurer sa subsistance. L'individu se battra pour son classement social, classement qui déterminera les tâches de la société qu'il devra effectuer. L'école dispose l'individu à l'égard de ce classement. L'école est la société en germe. Là où domine la compétition, elle disposera à un classement social qui opposera travail et loisirs, elle attachera les loisirs au revenu et le revenu à la valeur ajoutée. Là où la coopération domine, la division du travail n'opposera pas travail et loisirs. La classe aidera chacun à trouver sa vocation et la société accordera à chacun le revenu qui lui permettra une vie décente, la valeur ajoutée de l'individu à la société ne se résumant pas à la valeur ajoutée marchande. Dans le même temps, la classe et la société pourront inciter à certaines vocations. Dans la société de classes où la hiérarchie et l'exploitation sont de règle, il y a distinction entre métier noble et métier vil. Le métier des armes qui est noble commande au travail du paysan qui est dégradant. Le premier est libre, le second soumis à la nécessité. Au sortir de la société rurale de classes, les positions dans la division du travail sont légalement ouvertes à tous, en théorie la concurrence est libre, la hiérarchie sociale doit être légitimée, la concurrence sera dite pour cela libre et parfaite. Dans une telle conjoncture, la valeur travail devient centrale, elle légitime la propriété mesure de la hiérarchie sociale. L'économie domestique est la solution Dans notre société postcoloniale, la division du travail est mondiale, nous dépendons plus du travail des étrangers que de notre propre travail. C'est que nous pouvons plus facilement obtenir d'eux que de nous-mêmes ce dont nous avons besoin. Car entre nos capacités et les leurs, il y a un fossé. Ceux qui travaillent pour nous sont dans leur majorité des étrangers. Les machines, les matières et l'énergie qui travaillent pour nous sont fabriquées par des travailleurs étrangers. On peut s'en réjouir tant qu'un retournement de la fortune ne se produit pas, de riches du travail des autres, on devient pauvre dès qu'ils ne peuvent plus obtenir de nous les forces de travail subalternes ou les matières premières dont ils ont besoin. Travailler durablement pour autrui et obtenir d'eux de nombreux services exige d'être bien placée dans la chaîne de valeur. Dès lors que les autres peuvent se passer plus facilement de nous, que nous d'eux, nous expose à un déclassement. Aussi, y a-t-il une course vers les tâches qui protège du déclassement, celles qui sont les plus difficiles à remplacer pour s'éloigner des tâches qui sont exposées à disparaître ou à être facilement remplacées ou occupées par d'autres. Imaginons que nous ne puissions plus rien importer. Serons-nous en mesure de nous compléter, où n'étant plus en mesure de nous compléter, à quelles tâches pourrions-nous nous livrer ? Quelle économie domestique sera-t-on en mesure de monter ? On peut affirmer que la division entre les gens armés et les gens non armés va continuer de s'imposer. Les premiers protégeant les seconds et les seconds travaillant pour tous. Une question se présente alors, les seconds peuvent-ils travailler pour tous ? Dans le cas d'une réponse négative, une nouvelle question : pour qui travailleront ceux qui peuvent travailler pour autrui ? Dans le cas d'une réponse positive, le régime militaire devra alors organiser une économie domestique, diviser le travail entre les tâches domestiques, agricoles et industrielles. Ce raisonnement nous a permis de montrer que les sociétés qui ne sont pas en mesure de construire une économie domestique ne peuvent ni se protéger des chocs extérieurs, ni des ruptures internes. Et que le problème ne consiste pas dans la nature présente du régime, mais dans la trappe dans laquelle est tombé le régime militaire : la trappe de l'autoritarisme caractérisée par l'incapacité à construire une économie domestique, une interdépendance sociale suffisante. Le régime militaire correspond à un état de différenciation de la société, pour en sortir il faut transformer l'état de la société, de sa division sociale du travail. Il faut que la différenciation sociale dispose des institutions en mesure d'élever les pratiques sociales au niveau des standards internationaux. Le régime militaire n'est pas un obstacle, il est une condition nécessaire, mais non suffisante. La société doit s'accorder sur une différenciation sociale vertueuse et se doter des institutions qui puissent la servir. Les institutions et les pratiques qu'elle a adoptées et déformées sont celles de la société de classes, elles sont contreproductives. La société combat sur un territoire étranger. Il faut redonner au socialisme démocratique un autre contenu que celui keynésien, fordiste, de la social-démocratie européenne. La coopération et la compétition devront y être toutes les deux intenses pour produire les institutions et les pratiques en mesure de combattre l'injustice du monde. À partir de là, il faut se demander pourquoi le programme du régime militaire, ne serait-il pas celui de réduire les importations tout en restant en mesure de faire face à une agression militaire extérieure ? Nous ne pouvons pas compter indéfiniment sur des ressources naturelles pour obtenir les services du travail étranger et une économie domestique ne se monte pas en substituant des productions locales à des importations. Les ressources naturelles doivent nous permettre de monter une économie domestique qui nous préserverait d'une régression sociale. En guise de conclusion. N'allons pas croire que les Africains ou les Algériens vont partager le sort du monde si les choses tournent mal. L'humanité ne partage pas le même sort, les riches et les pauvres ne partagent pas le même sort. Les « riches » des pays qui tournent mal peuvent être accueillis par les pays riches. Les prolétaires des pays qui tournent mal deviennent des populations inutiles qu'il est plus facile d'éliminer que de défendre. Il est plus facile de laisser les migrants mourir en mer que de les sauver du naufrage. Il est plus avantageux de laisser des populations se détruire que d'apprendre à construire un monde plus juste. Une économie domestique est seule en mesure de protéger les plus faibles. L'Algérie ne pourra pas se prémunir du désordre du monde, coincée entre une Afrique grande victime de la crise climatique et une Europe frileuse, qui ne veut pas renoncer à ses privilèges, mais n'est plus capable de servir de maître. L'époque est trop injuste, elle ne peut pas durer, elle va certainement basculer, mais dans quel sens ? [1] Rappelons que l'énergie électrique est une énergie secondaire, chez nous produite majoritairement avec du gaz.
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La trappe de l'autoritarisme
par Derguini Arezki


En écoutant la grand-mère qui compare souvent son passé de fille et de jeune fille du temps colonial au présent de sa fille, mon père lui faisait remarquer qu'en sa jeunesse, on produisait tout ou presque par soi-même, alors que maintenant les femmes au foyer ont beaucoup de personnes qui font le travail pour elle. Beaucoup de personnes étrangères.

De nombreuses tâches domestiques ne sont plus le fait du travail féminin : par le biais d'équipements domestiques un travail industriel est internalisé dans l'économie domestique, par le biais de travailleurs salariés des tâches domestiques sont externalisées. La division sexuelle du travail est comme externalisée, bien que la concurrence étant la règle dans l'économie marchande et les tâches n'étant plus en général réservées d'avance, la place dans la division du travail dépend du capital avancé qui est inégalement réparti. Plus la société est riche, la division sexuelle se retrouve moins dans l'économie domestique que dans l'économie marchande. Dans une large mesure, les femmes peuvent donc disputer aux hommes les tâches de l'économie marchande. Dans notre société riche en pétrole, l'énergie fossile s'est substituée facilement à l'énergie humaine[1]. Les femmes peuvent désormais avoir double emploi. Elles peuvent s'extraire du travail domestique, si le service qu'elles offrent à la société leur permet d'acheter les services marchands attachés à la personne, en substituant du travail salarié au travail domestique. Dans notre pays, la disponibilité d'une énergie fossile à bon marché a permis l'importation et l'usage de nombreuses machines, de nombreux appareils domestiques, la substitution d'un travail domestique par un travail étranger.

Du travail pour soi au travail pour autrui

La vie d'aujourd'hui est beaucoup moins rude, beaucoup de tâches pénibles ne sont plus attachées au travail humain, mais elles n'ont pas disparu partout, elles subsistent là où l'énergie n'a pu être détachée du travail humain. Mais la vie est autrement difficile, travailler pour autrui diffère de travailler pour soi-même, car il faut désormais faire avec un monde complexe et une rude compétition. L'énergie fossile bon marché nous épargne la rude compétition, nous pouvons obtenir des autres ce que nous ne pouvons produire. Mais la vie peut être très difficile pour les populations qui ne peuvent s'épargner une telle compétition et ne peuvent entrer en concurrence sur le marché. Il ne s'agit plus de répartir le travail entre les quelques personnes de l'économie domestique, il s'agit de travailler pour autrui, pour personne et tout le monde. Il s'agit de mettre le monde, et non plus la famille, en ordre de travail. La compétition est d'autant plus rude que la division du travail est étendue et discontinue, que le marché du travail se polarise et que la progression d'une position à une autre est difficile. Le continuum du travail dont nous dépendons aujourd'hui se situe largement à l'étranger. Nous dépendons davantage du travail étranger que du travail indigène. Le travail indigène est incapable de se reproduire par lui-même, il ne peut assurer le minimum vital. Son continuum ne se boucle pas à l'intérieur du continuum du travail duquel il dépend. Le pari industriel étatiste a compté sur l'agriculture mondiale, n'ayant pas réussi à inscrire une industrie nationale dans la division internationale du travail, il a privé la société d'une agriculture de subsistance qui se révèle aujourd'hui vitale.

Un rapport au monde qui ne fait pas société

Dans cette mise en ordre du monde, le rapport du travailleur est d'abord un rapport au monde que le rapport à la société se charge d'accomplir. Ce de quoi dépend la vie d'un individu qui est distendu entre une énergie fossile et une industrie étrangère n'est plus local. Aussi, ce n'est pas l'État/la société qui configure le rapport de l'individu au monde, c'est le rapport au monde de l'individu qui configure le rapport de la société/l'État à l'individu. Un rapport distendu. On ne fait pas société d'abord puis monde, on fait monde d'abord et société ensuite, si ce n'est dans le même temps. On ne peut plus se représenter une société hors du monde avec les rapports d'interdépendance d'aujourd'hui. En se logeant dans le monde on fait société. En faisant société on se loge dans le monde. Une société porte toujours un monde dans lequel elle se projette, elle est toujours portée par un monde qui la comprend. Entre le monde que les sociétés postcoloniales portent et celui qui les porte, on ne peut distinguer que celui qui les porte. C'est ainsi le monde qui impose aux sociétés postcoloniales une administration autoritaire. Leur rapport au monde, parce que distendu, passe par un régime militaire pour faire société. La division du travail ne fait pas se compléter la société. L'administration du monde s'impose aux sociétés postcoloniales qui n'ont pas eu la possibilité de s'administrer elles-mêmes, de s'inscrire dans un monde qui les comprendrait mieux. Car l'écart entre l'administration que le monde attend de la société pour l'intégrer, la faire sienne, et l'administration du monde qu'elle aurait pu attendre d'elle-même n'est pas discernable, ni le chemin pour le refermer. La société se bat contre un monde injuste, mais seulement parce qu'elle en est la victime. La victime se transforme en bourreau du fait qu'elle ne porte pas une nouvelle administration du monde et méconnait le chemin qui peut y conduire à partir de son état actuel. Le chemin à parcourir la conduisant de l'état actuel au nouvel état désiré, se transformant jusqu'au point de transformer le monde.

Les nationalismes n'oublient pas la réalité selon laquelle une société se loge dans le monde, ils empruntent ses institutions. S'ils échouent à obtenir un meilleur logement pour leur société dans le monde, c'est qu'ils n'ont pas compris qu'une telle administration était un choix dicté par les circonstances. La société a accepté l'administration autoritaire que lui impose son rapport au monde, car les institutions qu'elle a adoptées ne sont pas de sa fabrique, mais les élites dirigeantes ont fait l'erreur de penser cette administration comme étant la sienne, non celle que leur proposait le monde, celle qu'elle était obligée d'accepter en tant que société déstructurée pour faire société cohérente et se restructurer. Autrement dit, accepter cette administration autoritaire, mais pour se loger autrement dans un autre monde. L'autoritarisme résulte des faits que la société porte un monde qui la porte et n'est pas le sien. Il persiste parce que la société n'a pas su opposer un monde à celui qui n'était pas le sien, un monde qui lui donne sa cohésion. Elle a poursuivi la destruction de ses bases arrière qui ne le contenait plus qu'en germe. Sans base arrière, elle ne pouvait reprendre à son compte l'organisation du monde. Pour exister, il faut différer, innover, jusqu'à ce que le monde change de par ces innovations et fasse place à une autre société, une société portée par un autre monde.

On distinguera parmi les sociétés précapitalistes, les sociétés antiques et les sociétés féodales. Les sociétés postcoloniales ne sont pas entrées dans le capitalisme par une différenciation sociale ni à partir des sociétés antiques ni à partir des sociétés féodales. Elles sont entrées par une différenciation perturbée. Le monde qu'elles portaient était déstructuré, il ne prolongeait ni le monde antique ni le monde féodal. Il n'a pas pu s'incorporer les éléments du monde capitaliste et se transformer avec cette incorporation. Les sociétés postcoloniales sont ainsi coincées dans un mimétisme auquel ne peut succéder de l'innovation.

L'énergie fossile et la rupture de l'interdépendance sociale.

Le rapport au monde s'est particulièrement compliqué pour les sociétés postcoloniales avec l'énergie fossile qui dissocie le travail humain de l'énergie humaine. L'énergie fossile ne s'est pas substituée à l'énergie humaine et la mécanisation n'a pas mécanisé le travail social. Elle a permis l'introduction massive d'un travail étranger dans le travail indigène. La division sociale du travail ne s'est pas étendue avant de se mécaniser. La transformation du procès de travail a été brutale et non graduelle au contraire des sociétés industrielles. L'urbanisation massive a écrasé la division du travail. L'usage de l'énergie fossile a aggravé la déprise du travail indigène sur le processus de mécanisation du travail. Travail objectif et travail subjectif ont perdu leur unité. Il n'y a pas eu approfondissement et extension de la division sociale du travail, il y a eu aggravation de la distorsion du continuum du travail, la société n'a pu faire corps de par sa division du travail. La dépendance extérieure a surclassé l'interdépendance sociale.

Le travail humain en se mécanisant grâce à l'énergie fossile accroit sa puissance productive. L'énergie fossile relègue brutalement l'énergie humaine dans certaines activités, le travail humain et l'énergie humaine ne sont plus associés qu'aux deux bouts de la chaîne du travail, aux extrémités du travail intellectuel et manuel pour les sociétés riches, à un seul bout pour les autres. Il faut désormais compter avec des machines dans la chaîne du travail humain, un travail mécanisé importé a été accolé à un travail humain local, un travail objectivé allogène s'est mêlé à un travail subjectif local déficient, un travail objectivé qui a eu pour effet principal de disperser le travail social et de le reléguer à son extrémité non qualifiée. Car là où les machines sont produites comme travail humain objectivé, le continuum du travail (objectif et subjectif) n'est pas rompu. Là où elles sont importées, le travail objectivé hétérogène au travail subjectif doit être internalisé et assimilé par ce dernier. Le travail social en s'appropriant les machines, un travail objectivé hétérogène, doit se reconnaître dans cette objectivation mécanique comme une objectivation de lui-même. Le continuum du travail social est nécessaire à sa cohérence, à sa reproduction simple et élargie. Cohérent, sa différenciation ne menace pas son unité. Autrement, le travail local est intégré à un autre travail social qui s'accumule et l'instrumentalise comme moyen de sa réalisation, travail de consommation finale, débouché pour sa production. Le travail local réalise ainsi le travail étranger (consomme la production du travail étranger) sans se réaliser lui-même en tant que travail indépendant, sans ajouter de production propre.

L'énergie sociale source primaire de l'énergie force de travail

L'économie domestique (traditionnelle) internalisait des outils, l'économie sociale (moderne) internalise des machines, du travail objectivé du monde entier. L'économie domestique fonctionnait aux énergies renouvelables, l'économie sociale aux énergies fossiles. Les comptes de l'économie domestique sont simples, ceux de l'économie d'une société sont construits. L'économie sociale accroit sa capacité productive, mais non son énergie. L'usage de l'énergie fossile à la place de l'énergie humaine n'a pas toujours les mêmes conséquences. L'énergie sociale peut s'en trouver affaiblie, se réfugiant dans l'extrémité non qualifiée du travail. Le consumérisme qui se focalise sur la production oublie l'essentiel : c'est de l'énergie sociale, de sa mobilisation, que dépend la mise en œuvre fructueuse de l'énergie fossile. La croissance de la production matérielle ne peut alors être un indicateur de la mobilisation de l'énergie sociale. L'énergie fossile n'objective pas le travail, c'est le travail subjectif porté par l'énergie sociale qui s'objective en séparant le geste humain de l'énergie humaine, le travail comme savoir-faire du corps humain, pour user de l'énergie et multiplier sa puissance. La confusion du travail avec l'énergie, sa non-définition comme savoir-faire, a été lourde de conséquences. L'énergie fossile est seulement dans le cas le plus favorable un multiplicateur de l'énergie sociale. Le système de machines n'est qu'une exosomatisation du corps social (Bernard Stiegler), son exosquelette (Jean Pierre Jancovici). Séparé du corps social, il ne peut être ni produit ni entretenu par l'énergie fossile. Dans le cas le plus défavorable en prenant la place de l'énergie humaine, l'énergie fossile disperse l'énergie sociale. L'énergie, d'origine extérieure, se définit comme la capacité de transformer le milieu dans lequel elle agit. L'énergie fossile, extérieure au travail humain, peut produire dans le travail plus de désordre que d'ordre. Par exemple, la voiture et le smartphone introduisent plus de désordre que d'ordre dans la vie de leurs usagers postcoloniaux. Ils sont rarement consommés à leur place. Ils dispersent l'énergie sociale au lieu d'étendre son rayon d'action. L'énergie fossile ne produit de synergie que quand elle s'inscrit en complément, en multiplicateur, de l'énergie sociale et non en concurrence.

On ne saurait réduire l'énergie sociale à la force de travail. La force de travail a été magnifiée par le marxisme : elle produirait plus qu'elle ne consomme. En vérité, elle consomme plus qu'elle ne produit. Elle consomme moins que ce qu'elle produit, à condition de ne pas compter ce qu'elle consomme et ne produit pas. Cette vérité est aujourd'hui patente avec la crise climatique. Car quelles forces ou énergies peuvent se soustraire aux lois de la physique et donner plus qu'elles ne reçoivent ? La réponse est qu'à moins qu'elle ne reçoive plus qu'elle ne compte. L'énergie sociale réside dans la foi, dans la fermeté des croyances et des désirs qui émanent de l'expérience sociale. N'allons donc pas séparer la foi du savoir à la suite d'une certaine pensée rationaliste, mais pensons leur opposition complémentaire plutôt que leur exclusion mutuelle. La foi et les croyances offrent les hypothèses au savoir, le savoir affermit ou affaiblit, confirme ou infirme des croyances. La foi et le savoir peuvent aussi s'obscurcir. La force de travail n'est qu'une déclinaison de l'énergie sociale. Que cela soit en tant qu'énergie ou savoir-faire séparés ou confondus. La force de travail est parcourue par une énergie sociale et tramée par un savoir-faire social.

La trappe de l'autoritarisme

Il importait pour l'autoritarisme comme première confrontation des sociétés postcoloniales aux puissances établies de capter cette énergie sociale, de la mettre dans un champ qui puisse l'entretenir et de la canaliser dans des circuits qui puissent la discipliner et multiplier sa puissance. Le travail objectivé (le capital) animé par l'énergie fossile ne constitue qu'une arme de la compétition. C'est à celui qui s'en servira le mieux. C'est le combat qui détermine les armes dont il faut user, ce ne sont pas les armes qui décident du combat. Deux versions s'opposent, celle du colonisateur mieux armé qui fait primer les armes sur le combat et celle du colonisé désavantagé qui fait primer le combat sur les armes. Sans énergie sociale qui la suppose, l'énergie fossile usera mal des armes de la compétition et n'accumulera pas des forces.

Sortir du rapport de forces postcolonial dont l'autoritarisme est l'ajustement, suppose que le modèle qui gouverne la société ait perdu de son extériorité. Il n'a plus besoin de s'imposer, il a été assimilé et transformé au point de ne plus se distinguer du fonctionnement de la société. La loi et son application n'ont plus besoin d'une politique discrétionnaire pour aller du législatif à l'exécutif. Socialisme ou libéralisme ne planent plus au-dessus de la société, ils sont des concrétions de la société. Sortir de l'autoritarisme ne consiste donc pas dans une participation du plus grand nombre à la consommation, il consiste d'abord à intérioriser les règles de fonctionnement du monde par la société, à s'accorder avec le monde pour accorder le monde à soi. Dans ce processus d'intériorisation des règles de fonctionnement du monde, l'autoritarisme est le point de départ des sociétés postcoloniales. Ce que j'appellerais la trappe de l'autoritarisme se définit comme l'échec de la société à accorder le monde avec elle-même qui s'amorce dans un échec de l'intériorisation des règles de fonctionnement du monde.

De l'énergie sociale à l'énergie fossile

Qu'est le travail sans l'énergie ? Il est savoir-faire. Que sont les machines ? Du travail, une série de tâches, du savoir-faire, un programme objectivé, mécanisé. Que deviennent les machines sans l'énergie ? C'est de l'énergie fossile disponible que dépend le fonctionnement des machines, mais c'est du travail social que dépend leur existence. Et c'est de l'économie de l'énergie humaine que naît la machine, le geste parfait, le savoir-faire. La machine ne sort pas de la tête de l'ingénieur, mais de sa tête et des gestes du travailleur. La relation du travail et de la machine dépend de leur complémentarité ou de leur opposition. La viabilité d'une société dépend de sa capacité à rapporter sa mécanique à la disponibilité de son énergie. Elle ne dépend pas d'abord de son travail objectivé. Ce dernier n'est qu'une partie de sa mécanique. La mécanique sociale concerne tout ce que la société effectue automatiquement, tout ce qui fait son corps mécanique, telles les routines et les habitudes sociales. Sans une telle disponibilité de l'énergie fossile, le travail subjectif, unité humaine du travail (comme savoir-faire) et de l'énergie, n'a pas de raison de s'objectiver, de se mécaniser, de dissocier le travail mécanique de l'énergie humaine. Le travail mécanique précède la dissociation du travail et de l'énergie humaine. L'énergie fossile ne fait que prendre le relai de l'énergie humaine pour mettre en œuvre le travail mécanique alors objectivé. La dissociation du travail et de l'énergie, étant précédée par celle du savoir-faire et du corps humain. Les sociétés ont donc tort de se focaliser sur la puissance productive aux dépens de l'énergie et du savoir-faire humains. C'est l'énergie qui transforme le monde, le savoir-faire en multiplie la capacité, pour le pire et le meilleur.

Lorsque l'énergie non renouvelable minore l'énergie renouvelable, il y a du souci à se faire. L'énergie non renouvelable doit valoriser celle renouvelable. Et on a tort d'oublier l'énergie humaine dans l'énergie non renouvelable. Elle a une autre place que dans la fonction de production, car elle ne se réduit pas à un facteur de production. Elle est aussi dans le désir de travailler, dans les préférences sociales, elle n'est pas dissociable du travail subjectif, à la différence du savoir-faire et de la pure énergie motrice. Elle porte par exemple au sacrifice, sa déficience à la démission, au suicide. C'est l'énergie humaine en tant qu'énergie sociale qui porte au mouvement, ainsi l'énergie de l'espoir ou du désespoir.

La division du travail selon Adam Smith

Mais qu'est-ce qui fait que des tâches sont plus recherchées que d'autres, que peu de gens peuvent assurer ? C'est la position qu'elles nous accordent dans la division du travail. Une position qui progresse et nous fait délaisser les tâches les moins gratifiantes pour celles qui le sont le plus. Mais qu'est cette gratification ? Le plaisir de l'utilitarisme et la puissance comme pouvoir de commander. Le pouvoir de commander au plus grand nombre d'humains et de non humains pour répondre à des désirs illimités. Comment accroitre un tel pouvoir ? En accroissant le pouvoir des humains et non humains auxquels nous pouvons commander. D'abord celui des humains ou des non-humains ou simultanément ? Dans la chaîne de commandement, humains et non-humains se tiennent, le maillon le plus faible décidera de la force de la chaîne. La puissance de la chaîne dépendra de son étendue et de la force de ses maillons, qui eux-mêmes dépendront de la place que la chaîne aura parmi les autres chaînes. Une chaîne de commandement ne peut se développer indépendamment des autres chaînes qui tiennent le monde. Pour exister, elle devra s'attacher à une chaîne existante, être en mesure de se développer, puis de dissocier et de s'associer à d'autres chaînes.

Travail et contemplation étaient jadis opposés, travail manuel et travail intellectuel, travail et loisirs aujourd'hui. Les socialistes rêvent d'une société de loisirs. Mais quelle société de loisirs, celle d'une société où travail et loisirs interagissent ou celle où elles sont séparées ? Dans ces dernières, le pouvoir de commander au travail aura tendance à externaliser le travail. Elles accorderont les loisirs pour des sociétés, le travail pour d'autres. Cela correspond bien à la société de classes, mais est-ce là le fonctionnement naturel des choses ? La société de loisirs se bat pour se défaire des tâches non gratifiantes, pour les reporter sur des travailleurs non humains ou humains d'autres sociétés. Elle n'hésite pas à utiliser la force quand celle-ci s'avère économique. La division du travail ne l'intéresse vraiment que comme moyen de commander au travail d'autrui, que quand les tâches dont elle s'occupe qui mêlent travail et loisirs lui permettent de se décharger des tâches qui ne sont que travail dont elle ne veut pas.

Le fonctionnement naturel suppose une interaction du travail et des loisirs, ils s'opposent et se complètent, parfois se dissociant pour se renouveler et parfois s'interpénétrant pour se féconder. Ainsi quand l'amour se mêle du travail. Nous nous chargeons alors d'une tâche non pour nous défaire d'autres tâches, même si nous avons tendance à les minorer. Car qui aime une chose les préfère aux autres. Le principe de plaisir n'est pas absent, mais le travail n'est plus déplaisir. Ou déplaisir qui nous fait mieux gouter au plaisir. Car comment séparer plaisir et déplaisir, joie et tristesse ? Un terme peut-il exister sans l'autre ? D'aimer une tâche, d'aimer et de se sentir aimé, nous font autrement apprécier les autres. Sans un tel fonctionnement naturel, la puissance de la chaîne de commandement est menacée de ruptures.

En règle générale donc, l'aiguillon qui pousse l'individu de la société de classes à progresser dans la division du travail, c'est celui de ne pas rester le dernier de la classe (ou de la société) qui sera chargé des corvées, mais celui d'être parmi les premiers qui pourront choisir parmi les tâches celles qui leur épargneront les nombreuses tâches de la classe (ou de la société) qui doivent assurer sa subsistance. L'individu se battra pour son classement social, classement qui déterminera les tâches de la société qu'il devra effectuer. L'école dispose l'individu à l'égard de ce classement. L'école est la société en germe. Là où domine la compétition, elle disposera à un classement social qui opposera travail et loisirs, elle attachera les loisirs au revenu et le revenu à la valeur ajoutée. Là où la coopération domine, la division du travail n'opposera pas travail et loisirs. La classe aidera chacun à trouver sa vocation et la société accordera à chacun le revenu qui lui permettra une vie décente, la valeur ajoutée de l'individu à la société ne se résumant pas à la valeur ajoutée marchande. Dans le même temps, la classe et la société pourront inciter à certaines vocations.

Dans la société de classes où la hiérarchie et l'exploitation sont de règle, il y a distinction entre métier noble et métier vil. Le métier des armes qui est noble commande au travail du paysan qui est dégradant. Le premier est libre, le second soumis à la nécessité. Au sortir de la société rurale de classes, les positions dans la division du travail sont légalement ouvertes à tous, en théorie la concurrence est libre, la hiérarchie sociale doit être légitimée, la concurrence sera dite pour cela libre et parfaite. Dans une telle conjoncture, la valeur travail devient centrale, elle légitime la propriété mesure de la hiérarchie sociale.

L'économie domestique est la solution

Dans notre société postcoloniale, la division du travail est mondiale, nous dépendons plus du travail des étrangers que de notre propre travail. C'est que nous pouvons plus facilement obtenir d'eux que de nous-mêmes ce dont nous avons besoin. Car entre nos capacités et les leurs, il y a un fossé. Ceux qui travaillent pour nous sont dans leur majorité des étrangers. Les machines, les matières et l'énergie qui travaillent pour nous sont fabriquées par des travailleurs étrangers. On peut s'en réjouir tant qu'un retournement de la fortune ne se produit pas, de riches du travail des autres, on devient pauvre dès qu'ils ne peuvent plus obtenir de nous les forces de travail subalternes ou les matières premières dont ils ont besoin. Travailler durablement pour autrui et obtenir d'eux de nombreux services exige d'être bien placée dans la chaîne de valeur.

Dès lors que les autres peuvent se passer plus facilement de nous, que nous d'eux, nous expose à un déclassement. Aussi, y a-t-il une course vers les tâches qui protège du déclassement, celles qui sont les plus difficiles à remplacer pour s'éloigner des tâches qui sont exposées à disparaître ou à être facilement remplacées ou occupées par d'autres.

Imaginons que nous ne puissions plus rien importer. Serons-nous en mesure de nous compléter, où n'étant plus en mesure de nous compléter, à quelles tâches pourrions-nous nous livrer ? Quelle économie domestique sera-t-on en mesure de monter ? On peut affirmer que la division entre les gens armés et les gens non armés va continuer de s'imposer. Les premiers protégeant les seconds et les seconds travaillant pour tous. Une question se présente alors, les seconds peuvent-ils travailler pour tous ? Dans le cas d'une réponse négative, une nouvelle question : pour qui travailleront ceux qui peuvent travailler pour autrui ? Dans le cas d'une réponse positive, le régime militaire devra alors organiser une économie domestique, diviser le travail entre les tâches domestiques, agricoles et industrielles. Ce raisonnement nous a permis de montrer que les sociétés qui ne sont pas en mesure de construire une économie domestique ne peuvent ni se protéger des chocs extérieurs, ni des ruptures internes. Et que le problème ne consiste pas dans la nature présente du régime, mais dans la trappe dans laquelle est tombé le régime militaire : la trappe de l'autoritarisme caractérisée par l'incapacité à construire une économie domestique, une interdépendance sociale suffisante.

Le régime militaire correspond à un état de différenciation de la société, pour en sortir il faut transformer l'état de la société, de sa division sociale du travail. Il faut que la différenciation sociale dispose des institutions en mesure d'élever les pratiques sociales au niveau des standards internationaux. Le régime militaire n'est pas un obstacle, il est une condition nécessaire, mais non suffisante. La société doit s'accorder sur une différenciation sociale vertueuse et se doter des institutions qui puissent la servir. Les institutions et les pratiques qu'elle a adoptées et déformées sont celles de la société de classes, elles sont contreproductives. La société combat sur un territoire étranger. Il faut redonner au socialisme démocratique un autre contenu que celui keynésien, fordiste, de la social-démocratie européenne. La coopération et la compétition devront y être toutes les deux intenses pour produire les institutions et les pratiques en mesure de combattre l'injustice du monde.

À partir de là, il faut se demander pourquoi le programme du régime militaire, ne serait-il pas celui de réduire les importations tout en restant en mesure de faire face à une agression militaire extérieure ? Nous ne pouvons pas compter indéfiniment sur des ressources naturelles pour obtenir les services du travail étranger et une économie domestique ne se monte pas en substituant des productions locales à des importations. Les ressources naturelles doivent nous permettre de monter une économie domestique qui nous préserverait d'une régression sociale.

En guise de conclusion. N'allons pas croire que les Africains ou les Algériens vont partager le sort du monde si les choses tournent mal. L'humanité ne partage pas le même sort, les riches et les pauvres ne partagent pas le même sort. Les « riches » des pays qui tournent mal peuvent être accueillis par les pays riches. Les prolétaires des pays qui tournent mal deviennent des populations inutiles qu'il est plus facile d'éliminer que de défendre. Il est plus facile de laisser les migrants mourir en mer que de les sauver du naufrage. Il est plus avantageux de laisser des populations se détruire que d'apprendre à construire un monde plus juste. Une économie domestique est seule en mesure de protéger les plus faibles. L'Algérie ne pourra pas se prémunir du désordre du monde, coincée entre une Afrique grande victime de la crise climatique et une Europe frileuse, qui ne veut pas renoncer à ses privilèges, mais n'est plus capable de servir de maître. L'époque est trop injuste, elle ne peut pas durer, elle va certainement basculer, mais dans quel sens ?

[1] Rappelons que l'énergie électrique est une énergie secondaire, chez nous produite majoritairement avec du gaz.
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