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Comment parler de progrès ? par Derguini Arezki La vie matérielle se dérobe sous la civilisation thermo-indu

Publié le 02/02/2024
Comment parler de progrès ? par Derguini Arezki La vie matérielle se dérobe sous la civilisation thermo-industrielle. Cette civilisation matérielle a atteint son apogée et entame son déclin, la vie matérielle comme reprise par une nature vivante et comme indifférente à la vie sociale va continuer sa course[1]. Elle finira bien par imposer aux apôtres de la croissance économique ses lois physiques. On sait aujourd'hui ce que doivent les libertés individuelles à l'énergie fossile[2]. On peut caractériser la civilisation thermo-industrielle comme une société consumériste. Cette société est toujours attachée à sa foi dans la croissance. Emportée par son élan, elle n'est pas encline à se déshabituer et ne se prépare pas à administrer la décroissance à venir que la nécessaire et inévitable décarbonation de l'économie va entraîner. Lui fera défaut l'agilité que l'instabilité du nouveau cours de la vie matérielle aurait attendue d'elle. Nous allons passer, bon gré mal gré, d'une problématique des droits à une autre des devoirs. La problématique des droits est très étroitement liée au mythe de la croissance illimitée. Car elle suppose la croyance dans une amélioration constante des droits de l'ensemble de la population. La persistance de la problématique des droits dans un contexte de contraction de la vie matérielle va rompre ce consensus, des droits ne pourront plus être garantis. Cela va détacher la classe moyenne supérieure attachée au progrès sociétal de sa base et entraîner l'apparition d'antagonismes sociaux. La problématique des devoirs va insister sur les devoirs de chacun, et particulièrement ceux de la classe supérieure vis-à-vis des classes inférieures. Le rôle de la classe moyenne supérieure va être décisif, le sort de la société sera fixé selon qu'elle gravitera autour de la classe supérieure ou des classes inférieures, selon qu'elle s'attachera à la prolétarisation ou à la déprolétarisation des classes inférieures. Redéfinir le progrès On peut s'interroger aujourd'hui sur ce que l'on pourrait appeler progrès. Le progrès technique et scientifique semble se dissocier de sa finalité, car on assiste à l'amorce d'une désynchronisation avec le progrès social. La crise climatique s'amplifie, les inégalités et les déplacements de population croissent, les guerres prolifèrent. Le progrès sociétal se substitue au progrès social, entretenant l'illusion de la poursuite du progrès dans une partie de la population, mais en réalité creusant le divorce entre la classe moyenne supérieure et les classes inférieures. Le progrès sociétal est le progrès par lequel la classe supérieure s'attache la classe moyenne supérieure. Nous arrivons au bout de certains mythes : au moment où l'on croit qu'ils vont se réaliser, ils s'effondrent. Progrès technique, progrès sociétal et progrès social, c'est dans cet ordre que la flèche du progrès dans l'idéologie ambiante les hiérarchise. Le progrès technique est dans le progrès sociétal, le progrès sociétal est dans le progrès social. Dans la réalité, on assiste à un essoufflement du progrès social au contraire du progrès technique et sociétal. Le progrès social ne peut plus être déduit du progrès technique. Le rapport du progrès technique et du progrès social a aujourd'hui besoin d'être redéfini. On ne peut plus identifier le progrès à la substitution du capital au travail. Il nous faut probablement inverser leur rapport. En situation de contraction de la vie matérielle, il faudra substituer du travail au capital plutôt que du capital au travail, remettre le « travail vivant », humain et non humain, au centre de l'accumulation plutôt que le « travail mort ». La véritable énergie renouvelable est celle qui n'est pas dissociée du travail vivant. Le progrès technique ne pourra plus tendre à substituer systématiquement de l'énergie fossile à l'énergie renouvelable, il devra tendre à accumuler du savoir dans le travail vivant. Il semble certain que la compétition de puissance continuera d'imposer le progrès technologique à certains secteurs, mais la logique de substitution du capital au travail, si elle s'impose à l'ensemble des secteurs, finira par désolidariser complètement le progrès technologique du progrès social et le retourner contre lui. Pour remettre le progrès technologique dans le progrès social, il faudra mettre le savoir dans le travail vivant. Le progrès scientifique ne conduit pas de lui-même au progrès social, il ne sera dit progrès que s'il anime le progrès social. Le progrès ne signifie plus économie et intensification du travail vivant, il signifie extensification et intensification du travail vivant et décarbonation de l'économie. Convergence et divergence du capital et du travail Le progrès de la Science s'il reste celui de l'esprit humain, s'objective et s'abstrait de plus en plus du travail vivant. Il nécessite de plus en plus d'énergie fossile pour se transformer en progrès social. La Science ambitionne de tout savoir et de tout pouvoir. Elle fait comme si ce qu'elle ne produit pas aujourd'hui, elle le produira demain. Mais elle oublie qu'Elle ne crée rien à partir de rien. Et donc qu'il y aura toujours un dedans et un dehors pour elle, un dehors qu'elle s'efforcera d'intérioriser, mais qui ne cessera pas de se renouveler et malheureusement dans des figures de plus en plus dégradées. C'est que les transformations du monde qu'Elle opère obéissent au second principe de la thermodynamique[3]. Elle produit de l'entropie. Le progrès scientifique intensifie le travail vivant et par là la vie matérielle, mais détruit et épuise ce qu'il ne produit pas et rend possible une telle intensification. « Travail vivant » des vivants et « travail » des machines ne se complètent plus, ils se retournent l'un contre l'autre. C'est de ce point de vue qu'une critique du capitalisme peut tenir la route. Elle tient dans la séparation forcée du travail et du capital. Rappelons que tout est production, tout est travail et énergie. Le capital se distingue du travail en ce qu'il dissocie savoir et énergie. Et que par l'association et dissociation du savoir et de l'énergie, travail et capital se convertissent l'un dans l'autre. Le capitalisme que l'on caractérisera par la propension à accumuler du capital mort aux dépens du travail vivant portait la promesse que le riche serait l'avenir du pauvre. Ce qui sépare le capital (travail mort) du travail vivant, c'est que le premier ne dispose pas de l'énergie en mesure de l'animer. Le capital est du savoir-faire objectivé, accumulé et monopolisé par la propriété privée exclusive. S'il faut désormais substituer du travail vivant au travail mort (capital), préserver le savoir-faire et son accumulation de son objectivation et appropriation par une classe sociale, l'esprit du capitalisme n'y sera plus, la propriété privée exclusive cessant d'être sacrée et hégémonique et la transformation du travail vivant en travail mort la règle. On peut dire que le capitalisme en tant que système basé sur la séparation et l'antagonisme du travail et du capital a résulté de la conjonction de la propriété privée exclusive sous l'aiguillon de la compétition et de la séparation massive du travail et de l'énergie qui a été rendue possible par l'énergie fossile. La compétition sous le régime de la propriété privée exclusive ayant conduit à une concentration toujours plus forte du savoir et du pouvoir de faire. Sortir du système capitaliste, c'est sortir de l'hégémonie de la propriété privée exclusive et de la domination du travail mort (capital) sur le travail vivant. Le socialisme est dans le refus d'une telle hégémonie (et non dans l'éradication de la propriété privée) et d'une telle domination (et non dans la disparition du capital). Après avoir substitué du capital au travail, il faut être en mesure de substituer du travail au capital. Pour les économies du monde, s'il peut y avoir une convergence, elle ne s'opèrera plus par le rattrapage des pays riches par les pays pauvres, elle ne s'effectuera pas par la substitution du capital au travail pour multiplier les populations inutiles. C'est d'une autre convergence dont on aura besoin : celle de pays riches allant à la rencontre des pays pauvres, en substituant du travail au capital, en réduisant de manière drastique les énergies fossiles, en fixant et en armant les populations d'un savoir et pouvoir faire sur une Terre habitable. Bref en remettant le savoir dans le travail vivant au lieu de l'en vider et les classes moyennes supérieures qui le portent dans la société au lieu de l'en séparer. On continuera de parler de croissance pour entretenir l'illusion d'une unité du monde si nécessaire aux entreprises globales. Mais une unité du monde n'en étant pas moins nécessaire une certaine convergence devra y convenir. On va assister à deux mouvements de sens opposés l'un de substitution du capital au travail et l'autre du travail au capital qui vont continuer à s'interpénétrer. Le tout est de savoir s'ils seront antagoniques ou complémentaires. Ils pourraient se compléter si d'un côté la substitution du capital au travail travaillait dans le sens de la puissance technologique et de la globalisation du monde, autrement dit au service de l'entretien d'une infrastructure matérielle qui ferait l'unité du monde, et si d'un autre côté, une substitution du travail au capital combattait la formation de populations inutiles. Investissement du savoir dans le travail mort d'un côté, investissement du savoir dans le travail vivant d'un autre. Les deux dynamiques opposées de substitution du travail et du capital vont tout à la fois se séparer et accroitre leur interpénétration. La complémentarité de ces deux dynamiques est invraisemblable sous le régime de la propriété privée exclusive. L'accumulation capitaliste du capital a pour logique de vider le travail vivant du savoir et à s'approprier le savoir en l'objectivant au travers de la formation du capital privé. L'énergie fossile lui fera bientôt défaut pour imposer systématiquement cette logique et séparer le travail vivant de l'énergie. Ce à quoi nous allons d'abord assister du fait de la logique capitaliste c'est à l'antagonisme des deux dynamiques : substitution du capital au travail et concentration du capital dans certaines zones, production de populations inutiles dans d'autres zones. C'est à partir du moment où sera exacerbé l'antagonisme entre populations armées du pouvoir savoir-faire et populations prolétarisées, la polarisation jusqu'au sein des anciennes sociétés industrielles, que l'antagonisme aura atteint le bout de sa course. Alors seulement pourra être entrevue, envisagée pour s'imposer la nécessaire complémentarité des deux mouvements opposés de substitution du capital et du travail, que leur interpénétration sera matériellement et socialement féconde. Car sur le plan des comportements sociaux, quel sera celui des riches, celui des pauvres ? Comment se protègeront-ils de l'insécurité ? On ne peut plus penser que les pauvres pourront marcher dans les pas des plus riches, ni que les riches et les pauvres pourraient s'entendre à priori sur une démarche commune qui leur viendrait d'une volonté dont on ne sait d'où. Demander aux riches de renoncer à l'accumulation du capital, on devine leur réponse. Ils demanderont à voir avant d'approuver. Ce n'est que lorsque les pertes menaceront d'être plus grandes que les gains qu'ils accepteront de se défaire de la conception d'un rapport de classe antagoniste. Pour l'heure, le marché du travail se polarise, la pyramide du travail s'étrangle au milieu et se gonfle à la base. Le savoir et le pouvoir faire se réfugiant en son sommet. La société est alors écartelée par une mobilité ascendante et une autre descendante, la classe moyenne est menacée. Deux types de sociétés se démarquent, l'un attaché à une mobilité ascendante, un autre affecté par une mobilité descendante. Les élites qui doivent leur statut à leurs talents se détachent du corps social, le corps social se vide de ses talents. La différenciation sociale se tend, une contre tendance à l'indifférenciation procédant du bas alors se manifeste. Le désir d'une société indifférenciée se développe dans le corps social prolétarisé pour envelopper la société entière. L'histoire, pour refaire corps à la société, tourne en faveur du populisme de droite et des valeurs conservatrices. Les droits acquis sont menacés, l'égalité des chances n'est plus crédible, la social-démocratie a vécu d'une redistribution qui ignorait le rapport antagoniste des riches aux pauvres. La séparation hobbesienne de l'État et de la société ne tient plus. L'oligarchie financière, pour ordonner le désordre, donnera au corps social des boucs émissaires. En noyant la lutte de classes dans la lutte des races et des sexes, elle voudra faire d'une pierre deux coups, détruire les populations inutiles menaçantes et menacées. C'est à partir de certains comportements autour desquels viendront s'agglomérer les autres que les choses arriveront. Au départ donc, les comportements des riches et des pauvres se disjoindront engageant ainsi la grande divergence sociale. La sobriété ne commencera pas par les riches, les États ne renonceront pas à la puissance technologique. Des comportements émergeront qui en sauvant des personnes pourraient tendre à sauver une classe, plus exactement ce qu'il en sera resté. Car le temps qu'émergent des comportements pertinents pour faire face aux différentes insécurités, beaucoup auront failli. Les riches et la puissance publique ne renonceront pas aux machines intelligentes, les pauvres ne pourront compter que sur leur seule intelligence. Mais de quelle intelligence les prolétaires pourraient-ils disposer ? De quels savoirs pouvoir faire ? Là est la question. L'avenir du monde dépend en grande partie des dispositions de la classe moyenne supérieure. Va-t-elle toujours avoir le regard tourné vers le haut, avoir la propension à se détacher de la classe inférieure pour servir la classe supérieure ? Où va-t-elle enfin comprendre qu'il faut refaire société avec la classe inférieure, remettre le savoir dans le travail vivant, pour sauver le monde de la catastrophe prévisible ? Nous avons besoin d'une vision de l'avenir qui nous permette d'aller vers lui sans trop d'affolement et de dissensus. J'entrevois dans une certaine globalisation, une archépélisation du monde s'imposant dans l'ordre ou le chaos. Car le monde doit trouver une certaine cohérence et un certain équilibre. Un monde concentrant le savoir et le pouvoir faire d'un côté et privant le reste n'est plus soutenable. Il faut remettre le travail mort dans le travail vivant, qui l'intensifie et l'améliore au lieu de s'en abstraire et de le détruire. Le paradis sur terre, ce qu'il peut en être, n'est pas dans la consommation illimitée, il est dans la magnificence du vivant. Il est dans une coopétition favorable au vivant. Il n'est plus dans le nombre d'esclaves énergétiques possédés. Je voudrais soutenir la thèse suivante : l'avenir du monde dépend du rapport des classes moyennes supérieures à la classe supérieure et à celles inférieures. Il dépend du mode d'insertion de leurs « laboratoires » dans la société et de la diffusion de leurs produits dans le tissu social. Leur attachement à la classe supérieure conduira au laminage de la classe moyenne et au décrochage des classes inférieures, la classe supérieure demeurant attachée à une appropriation privative du monde par la substitution du travail par le capital. Leur attachement aux classes inférieures est la condition de la déprolétarisation, de la réunification du savoir et du travail vivant. La propension actuelle du monde Pour l'heure, le monde en absence de vision semble être configuré pour aller dans une guerre des riches contre les pauvres sous la bannière de la défense du mode de vie (du pouvoir d'achat) confondue avec la défense des droits humains. Une partie du monde universaliste qui ne pense la paix que dans un monde façonné à son image, une autre différentialiste qui ne la pense que sous son contrôle. C'est dans la guerre que se poursuit le progrès technique, mais les guerres n'ont pu être gagnées que parce qu'elles portaient un progrès civil, les machines de guerre se convertissant en machines civiles et confort social, se diffusant sur une large échelle. Le travail scientifique s'élargissant alors et le progrès technique élargissant l'activité sociale. Avec la désynchronisation du progrès social et du progrès technique, ce n'est plus le cas, le progrès technique cesse de se diffuser dans le tissu social, la richesse ne « ruissèle » plus des riches vers les pauvres. Les riches pour ne pas subir la fin de la civilisation thermo-industrielle et pour se protéger des pauvres qu'ils ont antagonisés vont d'abord se séparer d'eux, ils vont se réfugier dans des bunkers, laisser les guerres civiles se développer pour se défaire des populations inutiles. Quand le feu aura fait son œuvre salvateur, ils repartiront à la conquête de leur pouvoir de faire. Voilà ce qui pourrait se passer, si les riches refusaient d'aller à la rencontre des pauvres, de partager avec eux leur savoir et pouvoir faire. La guerre à Gaza n'est pas un évènement à la frontière du monde, c'est son résumé à petite échelle ; elle est le devenir du monde qui démarre en son point le plus sensible. Tel que le monde est aujourd'hui configuré, la guerre est son avenir. Au slogan »l'Amérique d'abord», la première puissance mondiale devrait lui substituer celui de «le Monde d'abord». Ce qui n'adviendra que si un nouveau mouvement des non-alignés émerge et ne permet pas à cette puissance et à sa rivale d'imposer au monde leur logique de rivalité mimétique. Progrès, progressistes Les progressistes continuent de croire au Progrès qu'ils identifient désormais au progrès sociétal, il se croit toujours sur la pente croissante du progrès social. Ils aspirent toujours à conformer le monde à leur image. Ils croient à la croissance verte, qu'aller aux énergies renouvelables signifie aller toujours vers plus de droits et de confort. Ils oublient que l'ère préindustrielle fonctionnait aux énergies renouvelables, que le futur pourrait ressembler au passé s'il se pouvait. Ils continuent de croire que l'avenir est le paradis et le passé l'enfer. Il est vrai qu'ils ne sont pas les premiers à en faire les frais, même quand ils perdent aux élections. Ils s'imaginent toujours s'émancipant de la nature, disposant de plus de libertés individuelles, individualisant de plus en plus leur consommation, croyant pouvoir être maitres de leur destin, de leur corps. Ils ne voient pas que le progrès de la vie matérielle qui a détaché leur corps de la nature peut dans sa décrue les y rabattre à nouveau. Ils ne veulent plus d'enfants, mais une main-d'œuvre étrangère qualifiée qu'ils pourraient renvoyer chez elle une fois le travail terminé, les retraites assurées. Ils ne voient pas la colère des déclassés monter. Ils ne voient pas déjà se réduire le parc de machines, ils s'imaginent que la voiture électrique va remplacer la voiture thermique, ils espèrent que leur prix va continuer de baisser à l'image du prix des panneaux solaires. Ils ne voient pas que la Science n'est plus à leur service, que si de nouveaux esclaves mécaniques ne vont pas cesser de naître, peu nombreux sont ceux qui en auront l'usage et beaucoup plus nombreux sont ceux qui devront renoncer aux anciens. « On n'arrête pas le train du Progrès » certes, mais il réduira ses réseaux, ne desservira plus toutes les gares et ne s'arrêtant pas devant tout le monde en laissera beaucoup à la gare. On veut croire que panneaux solaires et éoliennes que nous produisons maintenant à l'ère de l'énergie fossile pourront être ceux que nous produirons demain sans elle. Ils ne voient pas que l'énergie renouvelable ne se substitue pas à l'énergie fossile, qu'on n'a jamais autant consommé de charbon. On ne veut pas trop voir que panneaux solaires et éoliennes en appellent à des métaux « rares ». Le mythe du Progrès à la vie dure, il a la vie de confortables habitudes sociales. On veut bien passer aux énergies renouvelables, mais on ne veut pas renoncer aux bénéfices de l'énergie fossile. Comment renoncer au confort, à l'émancipation, à la progression de l'autonomie individuelle ? Beaucoup y restent attachés et beaucoup commencent juste d'en rêver. Ils ne voient pas qu'ils vont à la guerre, d'abord contre les populations inutiles étrangères qui risquent de les submerger et en sous-main contre leurs propres populations inutiles qu'ils voudraient envoyer combattre. C'est de ne pas prendre sérieusement en compte le cours réel des choses que les progressistes s'aveuglent. C'est de ne pas prendre en compte le monde physique que les économistes continuent de cultiver leur jardin. Ils ne voient pas monter l'énergie nucléaire dans la décarbonation de l'activité économique à laquelle ils s'étaient opposés. Les riches sociétés vont devoir composer avec les déchets nucléaires pour ne pas laisser tomber leurs infrastructures de base, leur puissance électrique, mais quid du pouvoir d'achat des communs mortels ? Les civils ne pourront plus disposer d'autant d'esclaves mécaniques, ceux-là ne pourront pas être animés par l'électricité d'origine nucléaire, on ne peut laisser cette dernière proliférer. La décarbonation par l'énergie nucléaire servira les puissants et la puissance publique, les citoyens incidemment. Les puissants ne renonceront pas à leurs machines intelligentes et à leur personne augmentée, reste à savoir comment cela retombera sur les citoyens. Ce n'est plus la richesse matérielle qui peut ruisseler, mais le savoir et le pouvoir faire. Partager le savoir et le pouvoir faire entre les vivants ou le monopoliser par la classe d'une espèce, voilà l'enjeu de la coopétition mondiale. Il faut se défaire du mythe du Progrès, du mythe de l'Histoire comme progrès constant et linéaire. À l'échelle de quatre générations qui peuvent tenir dans une seule vie, une bonne partie de la société algérienne a fait l'expérience du passage d'une sous-consommation à une surconsommation. La génération qui est sur le point de partir a nagé dans le progrès social. La dernière arrivée nage dans l'anxiété et la consommation, elle s'inquiète de l'avenir professionnel et climatique, mais développe un comportement consumériste. Elle jouit des « bienfaits » de l'énergie fossile, mais s'inquiète de ses méfaits à venir. Ce qu'elle sait et ce qu'elle fait sont tout à fait désynchronisés. Son inconséquence est cultivée. Jusqu'à quand et pour quelles conséquences ? Il faut se faire une idée du progrès qui ne soit pas contreproductive. C'est le retour d'une histoire cyclique, ou plus exactement une évolution en spirale, mais désormais descendante plutôt qu'ascendante. À un certain moment, l'histoire a besoin de se reprendre à partir de ses anciennes bifurcations, pour explorer une direction qu'elle n'avait pas retenue. Il y peut y avoir des marches en avant ici et des retours en arrière là, le tout est de savoir comment les choses s'équilibreront. L'Histoire tâtonne, va dans des impasses et s'en retourne. Aujourd'hui les médias continuent de faire croire au Progrès, car sans publicité incitant à la consommation, ils changeraient de main. Les économistes continuent de n'avoir de regard que pour la croissance, ils n'ont pas appris à gérer la décroissance, mais à la combattre. Ils parlent flux d'argent, mais pas flux physiques. Le monde se dirige vers la guerre, en ignorant que le retour à la paix ne sera pas comme celui d'après la Seconde Guerre mondiale portée et prolongée par le développement de la civilisation thermo-industrielle. On croit que la reconstruction sera une aubaine pour certaines entreprises, alors qu'il faudra reconstruire dans d'autres conditions de stabilité. L'instabilité est là pour durer, mais on continue de croire qu'elle sera passagère. Le progrès le plus simple consisterait aujourd'hui à éviter les guerres avec leurs destructions massives, et le plus intelligent, à atterrir en douceur avec la décroissance. Mais voilà que les forces de l'inertie ne travaillent pas dans ce sens. Les Chinois qui nous le savons ont une autre conception de l'Histoire reviennent à leurs Classiques, ils ont un autre rapport au passé. Pourront-ils instruire leur comportement de l'enseignement des Anciens, se défaire d'une rivalité mimétique avec l'Occident, passer d'un comportement consumériste à un comportement sobre ? Vers quoi se porteront-ils ? Au lieu de pleurer la disparition de la croissance, ils pourraient accueillir la décroissance autrement que ne peut le faire l'Occident. La notion de progrès démarre avec la science expérimentale au XVII° siècle. Puis elle passe à l'esprit humain en sécularisant la conception chrétienne de l'histoire : l'au-delà est déplacé sur l'avenir et le bonheur terrestre remplace le salut céleste. La notion gagne ensuite la vie matérielle qui se confond avec la croissance de la production marchande (PIB)[4]. Mais voici que pour les croyants au Progrès l'avenir ne s'apparente plus au paradis, mais à l'enfer, même si des populations nombreuses (économies émergentes) veulent croire qu'elles peuvent avoir leur part de paradis terrestre. Des hindous et des Juifs font ainsi la guerre à des musulmans, les Turcs aux Kurdes, etc. pour construire leur paradis terrestre au lieu de construire la paix dans une certaine sobriété énergétique. Pour l'heure, il s'agit de savoir qui va chuter le moins violemment possible, qui pourra reprendre ses billes après l'effondrement général. La peur du passager clandestin mine autant les relations collectives que les relations internationales. Autonomie et dépendance Le progrès est cumulatif et c'est celui du savoir depuis l'écrit. Mais il n'a pas cette caractéristique dans toutes ses applications. Le caractère cumulatif du progrès technique et scientifique associé aux mythes de l'histoire comme progrès et de l'homme comme maître et possesseur de la nature permet d'associer le progrès du savoir au progrès du monde. Pourtant l'application du progrès scientifique, le progrès technologique, est ambivalente : le monde est soumis au deuxième principe de la thermodynamique et le progrès sert aussi à détruire, à faire la guerre. La destruction créatrice de Schumpeter laisse derrière elle une pure destruction rétroactive. Avec les mythes de l'Histoire comme Progrès, de l'Homme comme maître de la Nature qui s'effritent, c'est le mythe de l'émancipation, de l'autonomie individuelle qui s'effondre. ... Nous commençons à voir qu'il faut plutôt prendre soin de ses dépendances, qu'il n'est pas bon de dépendre du marchand, de l'anonyme étranger qui peut se transformer en rival qui s'en prend à ce que nous produisons et à nos conditions d'existence. Gendarme de la chaîne alimentaire Bien que nous nous rendions compte aujourd'hui que nous n'avons jamais été maîtres de la nature, que la Science n'a jamais régné sur le monde, qu'il va falloir nous adapter, on continue d'affirmer que nous voulons être maîtres de notre destin. Nous continuons de vouloir nous soustraire aux pesanteurs terrestres, soumettre le monde à notre rêve d'autonomie individuelle. Dans la chaîne alimentaire, l'homme s'est élevé au-dessus de tous les vivants, mais il n'en est pas le centre. Il en est dépendant et ne peut en être maître. Il ne peut dans son intérêt qu'entretenir et soigner la chaîne. Si Copernic a découvert que la Terre tourne autour du soleil et non l'inverse, nous découvrons que l'homme tourne autour de la Terre et non l'inverse. De ce que l'homme produit, il commence à voir que l'essentiel qui commence à lui faire défaut ne dépend pas de lui. C'est la matière et l'énergie fossile qu'il n'a pas produites et qu'il a sous-évaluées dans ses comptes parce qu'elle coûtait peu à sa compétition, qui ont rendu possibles la vie matérielle et les droits qu'elle porte. Si travail humain et travail non humain ne doivent que faire qu'un, que l'un ne peut aller sans l'autre, la part du travail non humain est considérable. La part du travail humain dans la production de la vie matérielle, bien que cruciale, est marginale depuis que savoir et énergie ont été dissociés dans le travail humain par les énergies fossiles, la part de l'énergie humaine dans l'énergie utilisée est devenue négligeable, du savoir dans le savoir humain de plus en plus réduite . Avec les crises énergétique et climatique, la nécessaire décarbonation de la vie matérielle et contraction de l'économie qui doivent s'ensuivre, la part de l'énergie humaine dans le travail humain, du savoir dans le savoir humain, devra retrouver une place plus importante. Nous voguons à contre-courant : nous continuons à travailler avec une énergie bon marché alors que nous devons commencer à apprendre à travailler avec moins d'énergie non renouvelable. Conséquence : nous produisons ce que d'autres cessent de produire. Châkh ennidhâm, disait un défunt sage ; il a du mal à s'adapter. Pour prendre soin de lui-même, l'homme doit prendre soin de toute la chaîne alimentaire, de toute la vie dont il vit, de tout le travail vivant dont il n'est pas la cause et dont il dépend. Le « travail mort » qui a remplacé le « travail vivant », les machines qui ont remplacé le travail humain ne peuvent fonctionner, se développer et subsister sans énergie non humaine qui les actionne. L'homme cet omnivore, ne peut se passer ni des plantes ni des animaux. L'homme a un rôle crucial dans la chaîne alimentaire non par son régime alimentaire qui le situe au niveau de l'anchois, mais par sa capacité à se mouvoir et à intervenir dans toute la chaîne alimentaire, à faire tenir, entretenir ou rompre, détruire toute la chaîne. Il est en quelque sorte le gendarme de la chaîne, mais aussi un producteur et un consommateur qui par ses diverses interventions peut soigner ou nuire à la chaîne. L'être humain est responsable de toute la chaîne de production/d'alimentation, car dans la chaîne, il y a des prédateurs, des consommateurs et des producteurs qui ne sont plus à leur place par sa faute et se développent de manière disproportionnée. Il y a ceux qui la renforcent et ceux qui la sapent, il y a ceux qu'il doit combattre et ceux qu'il doit se concilier dans l'intérêt de toute la chaîne, son intérêt ne peut s'en dissocier. Il y a ceux qui ont trouvé leur place et ceux qui l'ont perdu. De ceux qui l'ont perdu, il y a ceux qui disparaissent et ceux qui subsistent et cherchent leur place. Tous deux affectent la chaîne, dans un cas elle s'affaisse, dans l'autre, elle est perturbée. L'Homme peut alors voir la pyramide de laquelle il vit et dans laquelle il intervient, s'effondrer. Lui qui peut parcourir toute la chaîne, il lui faut prendre soin sans en être Maître ou plutôt mauvais maître. Car le savoir et son caractère omnivore en ont fait un maître. Un bon maître, dans le sens du maître d'école qui ne fabrique pas son élève et sait que l'école n'est ni la société ni la vie. Mauvais maître celui qui croit que tout commence avec lui. Celui qui oublie qu'il fait partie de la chaîne, a été produit par la chaîne et qu'il n'est à sa place, être dans une position où tous les autres membres de la chaîne sont à son service que parce certains équilibres ont été respectés, qu'un certain ordre a été établi dans lequel il a une responsabilité particulière, mais pas toute la responsabilité. Après avoir été mauvais maître, il doit apprendre à devenir un bon maître. Dieu fait Homme « Dieu se fait homme » : avec le mythe de l'Incarnation, l'Homme peut déclamer la Vérité du monde. Dieu fait Homme peut ainsi s'effacer derrière l'Homme, le Dieu mortel (Hobbes) peut prendre sa place. C'est désormais l'État et le marché qui auront leurs fidèles. Le mythe de l'homme maître et possesseur de la nature qui est à l'origine de la Science a quelque chose à voir le mythe chrétien de l'Incarnation. Dieu, qui a créé le monde, l'aurait soumis à des lois, peut se retirer et le confier aux hommes par les lois que la Science découvrira. L'Homme hérite du Savoir divin dans la Science. Elle prendra possession des lois que Dieu y a déposées par lesquelles le monde est gouverné. Quand les Occidentaux comparent les civilisations, ils ne peuvent pas rendre compte des partis-pris implicites de leur comparaison. Ce mythe ne figure pas dans les postulats qui les différencient des autres civilisations. Il arrive au mythe de sourdre dans la comparaison, mais il ne sera pas posé comme postulat à l'origine de la Science qui fait pour les Occidentaux la différence avec les autres civilisations ; ils sont la civilisation qui a donné naissance à la Science en sortant de la Religion. Il ne pouvait le postuler ayant placé la religion dans un passé sans avenir, substitué le bonheur terrestre au paradis. Et pourtant en comparant l'humain dans les différentes civilisations, ce mythe de l'Incarnation, d'où découle cet homme maître et possesseur de la nature, apparait spécifique au christianisme. Dieu s'étant retiré de sa Création, s'étant incarné dans l'Homme, la Nature se donne à la Science de l'Homme. Il n'a plus besoin de l'Église qui a accompli son œuvre en cédant la place au Dieu mortel, la Science qui de libre expérimentation au départ est maintenant chargée de dire la Vérité du monde. On a échangé dans l'opération l'infaillibilité du Pape contre celle de la Science. Il y a là une nouvelle foi bien plus arrogante que l'ancienne. Elle se situe au-dessus de toutes les religions. Le mythe de la rupture a permis l'effacement du mythe de l'incarnation et sa transmutation dans l'Homme maître et possesseur de la nature. Le mythe prométhéen qui replonge l'esprit européen dans l'Antiquité, vient soutenir le mythe de l'homme maître et possesseur de la nature pour dérober la filiation de ce dernier au mythe de l'incarnation. On ne peut faire du nouveau qu'avec de l'ancien, sauf à penser que l'on puisse recréer le monde à partir de rien. L'ancien est dans le nouveau et le nouveau dans l'ancien, on peut parler de gestation, de génération, de mutation, mais pas de création ex nihilo sauf à supposer une nature de création divine dont la charge de divine serait devenue humaine. Le mythe de pouvoir créer à partir de rien passe de Dieu à l'Homme. La bipolarisation : un choix de société, ... « La tendance, constatée dans tous les pays développés, est à la polarisation croissante des qualifications. Que voit-on ? Les jobs les plus qualifiés sont en forte croissance, de même que ceux qui sont à l'autre bout de l'échelle : petits boulots, emplois supposés immédiatement accessibles, souvent précaires dans leur statut. Entre les deux, les tâches de qualification intermédiaire semblent vouées à une lente mais inexorable érosion. Or, ce sont ces tâches - ouvriers qualifiés de l'industrie, cadres intermédiaires des services - qui ont formé l'ossature des classes moyennes dans la période de croissance des décennies d'après-guerre. ... ... cette bipolarisation ... contrairement à ce que suppose une grande partie de la littérature économique n'est pas une fatalité technologique. Cette situation ... est le reflet de notre mode de croissance et des grands choix implicites concernant la place du travail humain et sa valorisation dans nos modèles économiques et sociaux. Il faut commencer par dire que la « qualification » et les critères par lesquels nous la mesurons n'ont rien de « naturel ». En quoi le travail d'une aide-soignante dans un EHPAD est-il moins qualifié que celui d'un cadre commercial qui cherche à placer ses produits dans une chaîne d'hypermarchés ? On sent bien que les différences fondamentales qui se cachent derrière la grille des niveaux de qualification tiennent plus à la reconnaissance, à la valorisation ou à la dévalorisation par la convention sociale, qu'à la complexité intrinsèque des tâches. Si des jobs de services, notamment dans le soin et dans l'aide aux personnes de manière générale - métiers qui, on l'a vu, sont ceux qui connaissent la croissance numérique la plus forte - vont rejoindre le bloc des emplois « peu qualifiés », c'est parce que notre société l'a décidé ainsi. »[5] ... un rapport de classes du travail et des études. Je voudrais aller plus loin dans le sillage de Pierre VELTZ. Ce que voudront lui répondre les économistes de la société de classes, c'est qu'il faut étudier pour obtenir une qualification, faire de longues études pour obtenir une haute qualification. Il coûte d'étudier et on étudie pour accroitre son revenu. Les études sont un investissement en vue de se constituer un capital, le capital humain. On oublie quand on dit qu'on étudie pour travailler, que pour étudier il faut avoir travaillé ou fait travailler plus que nécessaire, n'avoir pas besoin de travailler le temps d'étudier. Dans la société de classes, la division du travail séparait les travailleurs des non-travailleurs. Ces derniers se consacraient à la guerre ou aux études. Les études étaient le lot de la fraction subalterne de la classe des guerriers et étudier concernait d'abord non pas le travail, mais le savoir en général pour les besoins de la classe supérieure. On étudiait pour diriger et non pour travailler. Ce n'est qu'avec la révolution dans la production et la productivité que les études et le travail vont être associés. La société de classes distinguera alors des études pour travailler et des études pour diriger. Ces dernières, longues et « inutiles », seront toujours réservées à la classe des non-travailleurs. La nouvelle place de la production matérielle consacrera alors l'essor de la classe moyenne, sa fraction supérieure gèrera pour la classe supérieure le parc d'esclaves mécaniques devenu considérable. Dès l'Antiquité, les études sont réservées à la classe qui ne travaille pas. La société de classes sépare le travail des études, on n'étudie pas pour mieux travailler, mais pour mieux diriger la société au travail. Ceux qui travaillent n'avaient ni le loisir ni les moyens d'étudier. C'est donc la division sociale de classes qui valorise l'éducation et dévalorise le travail. Il faut être libéré de l'obligation de travailler pour pouvoir étudier, philosopher. Ce n'est qu'avec l'industrialisation qu'il y aura une démocratisation de l'éducation. La société de classes a associé à sa naissance travail et nécessité études et liberté, a dissocié travail et études. Et comme nous l'avons noté ailleurs, travail et études ne peuvent être en réalité dissociés, les études établissent la qualification au sommet de la hiérarchie du travail, aussi sont-elles surtout le fait de la classe subalterne de la classe dominante (ensuite de la classe supérieure de la classe dominée). La division de classes de la société est en fait une hiérarchie du travail. La bipolarisation est un fait de la société de classes. Elle est seulement très prononcée à une époque et moins à une autre. La revanche des monarchies Si les monarchies postcoloniales semblent prendre leur revanche sur les républiques postcoloniales aujourd'hui, c'est que leur division du travail consacre une population qui est formée pour diriger, d'une autre qui est formée pour travailler. Cette division sociale du travail s'avère plus efficace que celle mise en place par les républiques postcoloniales. Non pas parce que la division sociale de classes des monarchies est supérieure à la division sans classes des républiques, mais parce que ces dernières qui avaient pourtant libéré une énergie sociale considérable aux indépendances n'ont pas su établir la complémentarité du travail et des études à la différence des monarchies. Les monarchies ont donc pu entretenir une classe moyenne supérieure dynamique qui a pu leur soumettre une classe de travailleurs humains et non humains. L'essentiel dans le processus d'accumulation n'est pas la division de classes, mais la complémentarité des études et du travail. Et son dynamisme renvoie plus à la compétition des talents qu'à un ordre surimposé. Ce n'est pas un hasard si les sociétés qui ont fortement été inspirées par la civilisation chinoise et sa bureaucratie céleste ont eu plus de facilité à réaliser une telle complémentarité. Il ne faut donc pas oublier qu'entre travail et études, il faut boucler la boucle. Ce que sociétés de classes ou sans classes ne réalisent pas toujours. Les unes à cause de la rigidité de leur ordre social, les autres à cause du désordre structurel dont elles sont victimes, causes qui les rendent incapables de réaliser la complémentarité des études et du travail. On travaille pour étudier et l'on étudie pour travailler, c'est ce cercle vertueux qui actionne l'accumulation du capital. La société dégage un fonds pour étudier qui lui permettra d'améliorer son travail. Les études s'allongeront à mesure que le parc de machines sera plus étendu et plus compliqué. Mais non pas le travail lui-même. S'occuper d'une personne, que dire de plusieurs, est bien plus compliqué que de s'occuper d'un ou de plusieurs automates. Le monde est un grand laboratoire. Au départ, le laboratoire est un champ ouvert, c'est le travail direct qui expérimente. Avec le développement de la production, le laboratoire se resserre, la part de l'ingénieur et du travail indirect s'accroit. Expérimenter exige un financement et un appareillage importants, une longue formation qui le fabrique, le met en œuvre et le teste. Au fur à mesure que le travail indirect, l'ingénierie, investit l'expérience, l'expérimentation se dégage du champ social. Les « ingénieurs » se font moins nombreux. Le travail est davantage celui des machines, et faire travailler les machines devient le fait d'une petite partie du travail humain. Le travail se bipolarise, une faible partie est surqualifiée, une importante partie n'a plus d'autre qualification que celle qu'autorisent les champs sociaux qui n'ont pas été pénétrés par les machines. Il y a alors comme un travail proprement machinique et un autre proprement humain. La longueur des études par lesquelles on se rend capable de faire travailler les machines, est ce qui détermine désormais la qualification, le mérite social, l'accès à la classe moyenne supérieure. Mais si l'on admet que cette convention est le fait d'une société qui croit et adhère à un avenir dominé par les machines, que deviendra cette convention lorsque la société ne croira plus qu'un tel avenir fera son bonheur ? Dans la civilisation thermo-industrielle, la machine faisait le bonheur de la société tant que chacun pouvait accroitre le nombre d'esclaves mécaniques à son service. Mais dès lors que le parc de machines commence à décroitre, que des esclaves humains (travailleurs sans-papiers et sans droits) se mettent à remplacer les esclaves mécaniques, le bonheur ne concerne plus tout le monde. On peut alors se demander si s'occuper des enfants et des personnes âgées importe moins que de faire travailler des machines. En guise de conclusion. Avec la croissance de la production et de la productivité, une classe moyenne supérieure a émergé et a joué un rôle décisif en tant que classe subalterne de la classe possédante. Elle a assuré la gestion du développement du parc de machines et du travail humain préposé aux machines. Avec la contraction de la vie matérielle, son rôle sera encore décisif. Si elle reste attachée à la classe des propriétaires, en s'attachant au progrès sociétal et à la problématique des droits plutôt qu'au progrès social, elle accentuera la prolétarisation du travail, séparant toujours davantage savoir objectif et travail vivant. Elle aidera alors la classe possédante à noyer la lutte des classes dans la lutte des races et des sexes. Si elle fait corps avec le monde du travail, s'attache à une problématique des devoirs (entre classes sociales et êtres humains et non humains), remet le savoir dans le travail vivant et promeut le progrès social, elle prendra part à la déprolétarisation, à la lutte contre la dépossession et à la promotion de la paix dans le monde. Elle sera ainsi décisive dans le mouvement de substitution et de complémentarité du capital et du travail. D'elle dépendra l'investissement du savoir dans le travail mort et le travail vivant, de la transformation du savoir en pouvoir du monde vivant ou en pouvoir sur un monde d'esclaves humains et non humains.
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Comment parler de progrès ?
par Derguini Arezki


La vie matérielle se dérobe sous la civilisation thermo-industrielle. Cette civilisation matérielle a atteint son apogée et entame son déclin, la vie matérielle comme reprise par une nature vivante et comme indifférente à la vie sociale va continuer sa course[1]. Elle finira bien par imposer aux apôtres de la croissance économique ses lois physiques. On sait aujourd'hui ce que doivent les libertés individuelles à l'énergie fossile[2]. On peut caractériser la civilisation thermo-industrielle comme une société consumériste. Cette société est toujours attachée à sa foi dans la croissance. Emportée par son élan, elle n'est pas encline à se déshabituer et ne se prépare pas à administrer la décroissance à venir que la nécessaire et inévitable décarbonation de l'économie va entraîner. Lui fera défaut l'agilité que l'instabilité du nouveau cours de la vie matérielle aurait attendue d'elle.

Nous allons passer, bon gré mal gré, d'une problématique des droits à une autre des devoirs. La problématique des droits est très étroitement liée au mythe de la croissance illimitée. Car elle suppose la croyance dans une amélioration constante des droits de l'ensemble de la population. La persistance de la problématique des droits dans un contexte de contraction de la vie matérielle va rompre ce consensus, des droits ne pourront plus être garantis. Cela va détacher la classe moyenne supérieure attachée au progrès sociétal de sa base et entraîner l'apparition d'antagonismes sociaux. La problématique des devoirs va insister sur les devoirs de chacun, et particulièrement ceux de la classe supérieure vis-à-vis des classes inférieures. Le rôle de la classe moyenne supérieure va être décisif, le sort de la société sera fixé selon qu'elle gravitera autour de la classe supérieure ou des classes inférieures, selon qu'elle s'attachera à la prolétarisation ou à la déprolétarisation des classes inférieures.

Redéfinir le progrès

On peut s'interroger aujourd'hui sur ce que l'on pourrait appeler progrès. Le progrès technique et scientifique semble se dissocier de sa finalité, car on assiste à l'amorce d'une désynchronisation avec le progrès social. La crise climatique s'amplifie, les inégalités et les déplacements de population croissent, les guerres prolifèrent. Le progrès sociétal se substitue au progrès social, entretenant l'illusion de la poursuite du progrès dans une partie de la population, mais en réalité creusant le divorce entre la classe moyenne supérieure et les classes inférieures. Le progrès sociétal est le progrès par lequel la classe supérieure s'attache la classe moyenne supérieure. Nous arrivons au bout de certains mythes : au moment où l'on croit qu'ils vont se réaliser, ils s'effondrent.

Progrès technique, progrès sociétal et progrès social, c'est dans cet ordre que la flèche du progrès dans l'idéologie ambiante les hiérarchise. Le progrès technique est dans le progrès sociétal, le progrès sociétal est dans le progrès social. Dans la réalité, on assiste à un essoufflement du progrès social au contraire du progrès technique et sociétal. Le progrès social ne peut plus être déduit du progrès technique.

Le rapport du progrès technique et du progrès social a aujourd'hui besoin d'être redéfini.

On ne peut plus identifier le progrès à la substitution du capital au travail. Il nous faut probablement inverser leur rapport. En situation de contraction de la vie matérielle, il faudra substituer du travail au capital plutôt que du capital au travail, remettre le « travail vivant », humain et non humain, au centre de l'accumulation plutôt que le « travail mort ». La véritable énergie renouvelable est celle qui n'est pas dissociée du travail vivant. Le progrès technique ne pourra plus tendre à substituer systématiquement de l'énergie fossile à l'énergie renouvelable, il devra tendre à accumuler du savoir dans le travail vivant.

Il semble certain que la compétition de puissance continuera d'imposer le progrès technologique à certains secteurs, mais la logique de substitution du capital au travail, si elle s'impose à l'ensemble des secteurs, finira par désolidariser complètement le progrès technologique du progrès social et le retourner contre lui. Pour remettre le progrès technologique dans le progrès social, il faudra mettre le savoir dans le travail vivant. Le progrès scientifique ne conduit pas de lui-même au progrès social, il ne sera dit progrès que s'il anime le progrès social. Le progrès ne signifie plus économie et intensification du travail vivant, il signifie extensification et intensification du travail vivant et décarbonation de l'économie.

Convergence et divergence du capital et du travail

Le progrès de la Science s'il reste celui de l'esprit humain, s'objective et s'abstrait de plus en plus du travail vivant. Il nécessite de plus en plus d'énergie fossile pour se transformer en progrès social. La Science ambitionne de tout savoir et de tout pouvoir. Elle fait comme si ce qu'elle ne produit pas aujourd'hui, elle le produira demain. Mais elle oublie qu'Elle ne crée rien à partir de rien. Et donc qu'il y aura toujours un dedans et un dehors pour elle, un dehors qu'elle s'efforcera d'intérioriser, mais qui ne cessera pas de se renouveler et malheureusement dans des figures de plus en plus dégradées. C'est que les transformations du monde qu'Elle opère obéissent au second principe de la thermodynamique[3]. Elle produit de l'entropie. Le progrès scientifique intensifie le travail vivant et par là la vie matérielle, mais détruit et épuise ce qu'il ne produit pas et rend possible une telle intensification. « Travail vivant » des vivants et « travail » des machines ne se complètent plus, ils se retournent l'un contre l'autre.

C'est de ce point de vue qu'une critique du capitalisme peut tenir la route. Elle tient dans la séparation forcée du travail et du capital. Rappelons que tout est production, tout est travail et énergie. Le capital se distingue du travail en ce qu'il dissocie savoir et énergie. Et que par l'association et dissociation du savoir et de l'énergie, travail et capital se convertissent l'un dans l'autre. Le capitalisme que l'on caractérisera par la propension à accumuler du capital mort aux dépens du travail vivant portait la promesse que le riche serait l'avenir du pauvre. Ce qui sépare le capital (travail mort) du travail vivant, c'est que le premier ne dispose pas de l'énergie en mesure de l'animer.

Le capital est du savoir-faire objectivé, accumulé et monopolisé par la propriété privée exclusive. S'il faut désormais substituer du travail vivant au travail mort (capital), préserver le savoir-faire et son accumulation de son objectivation et appropriation par une classe sociale, l'esprit du capitalisme n'y sera plus, la propriété privée exclusive cessant d'être sacrée et hégémonique et la transformation du travail vivant en travail mort la règle.

On peut dire que le capitalisme en tant que système basé sur la séparation et l'antagonisme du travail et du capital a résulté de la conjonction de la propriété privée exclusive sous l'aiguillon de la compétition et de la séparation massive du travail et de l'énergie qui a été rendue possible par l'énergie fossile. La compétition sous le régime de la propriété privée exclusive ayant conduit à une concentration toujours plus forte du savoir et du pouvoir de faire. Sortir du système capitaliste, c'est sortir de l'hégémonie de la propriété privée exclusive et de la domination du travail mort (capital) sur le travail vivant.

Le socialisme est dans le refus d'une telle hégémonie (et non dans l'éradication de la propriété privée) et d'une telle domination (et non dans la disparition du capital). Après avoir substitué du capital au travail, il faut être en mesure de substituer du travail au capital.

Pour les économies du monde, s'il peut y avoir une convergence, elle ne s'opèrera plus par le rattrapage des pays riches par les pays pauvres, elle ne s'effectuera pas par la substitution du capital au travail pour multiplier les populations inutiles.

C'est d'une autre convergence dont on aura besoin : celle de pays riches allant à la rencontre des pays pauvres, en substituant du travail au capital, en réduisant de manière drastique les énergies fossiles, en fixant et en armant les populations d'un savoir et pouvoir faire sur une Terre habitable. Bref en remettant le savoir dans le travail vivant au lieu de l'en vider et les classes moyennes supérieures qui le portent dans la société au lieu de l'en séparer.

On continuera de parler de croissance pour entretenir l'illusion d'une unité du monde si nécessaire aux entreprises globales. Mais une unité du monde n'en étant pas moins nécessaire une certaine convergence devra y convenir. On va assister à deux mouvements de sens opposés l'un de substitution du capital au travail et l'autre du travail au capital qui vont continuer à s'interpénétrer. Le tout est de savoir s'ils seront antagoniques ou complémentaires. Ils pourraient se compléter si d'un côté la substitution du capital au travail travaillait dans le sens de la puissance technologique et de la globalisation du monde, autrement dit au service de l'entretien d'une infrastructure matérielle qui ferait l'unité du monde, et si d'un autre côté, une substitution du travail au capital combattait la formation de populations inutiles. Investissement du savoir dans le travail mort d'un côté, investissement du savoir dans le travail vivant d'un autre.

Les deux dynamiques opposées de substitution du travail et du capital vont tout à la fois se séparer et accroitre leur interpénétration. La complémentarité de ces deux dynamiques est invraisemblable sous le régime de la propriété privée exclusive. L'accumulation capitaliste du capital a pour logique de vider le travail vivant du savoir et à s'approprier le savoir en l'objectivant au travers de la formation du capital privé. L'énergie fossile lui fera bientôt défaut pour imposer systématiquement cette logique et séparer le travail vivant de l'énergie.

Ce à quoi nous allons d'abord assister du fait de la logique capitaliste c'est à l'antagonisme des deux dynamiques : substitution du capital au travail et concentration du capital dans certaines zones, production de populations inutiles dans d'autres zones.

C'est à partir du moment où sera exacerbé l'antagonisme entre populations armées du pouvoir savoir-faire et populations prolétarisées, la polarisation jusqu'au sein des anciennes sociétés industrielles, que l'antagonisme aura atteint le bout de sa course. Alors seulement pourra être entrevue, envisagée pour s'imposer la nécessaire complémentarité des deux mouvements opposés de substitution du capital et du travail, que leur interpénétration sera matériellement et socialement féconde.

Car sur le plan des comportements sociaux, quel sera celui des riches, celui des pauvres ? Comment se protègeront-ils de l'insécurité ? On ne peut plus penser que les pauvres pourront marcher dans les pas des plus riches, ni que les riches et les pauvres pourraient s'entendre à priori sur une démarche commune qui leur viendrait d'une volonté dont on ne sait d'où. Demander aux riches de renoncer à l'accumulation du capital, on devine leur réponse. Ils demanderont à voir avant d'approuver.

Ce n'est que lorsque les pertes menaceront d'être plus grandes que les gains qu'ils accepteront de se défaire de la conception d'un rapport de classe antagoniste.

Pour l'heure, le marché du travail se polarise, la pyramide du travail s'étrangle au milieu et se gonfle à la base. Le savoir et le pouvoir faire se réfugiant en son sommet. La société est alors écartelée par une mobilité ascendante et une autre descendante, la classe moyenne est menacée. Deux types de sociétés se démarquent, l'un attaché à une mobilité ascendante, un autre affecté par une mobilité descendante. Les élites qui doivent leur statut à leurs talents se détachent du corps social, le corps social se vide de ses talents. La différenciation sociale se tend, une contre tendance à l'indifférenciation procédant du bas alors se manifeste. Le désir d'une société indifférenciée se développe dans le corps social prolétarisé pour envelopper la société entière. L'histoire, pour refaire corps à la société, tourne en faveur du populisme de droite et des valeurs conservatrices. Les droits acquis sont menacés, l'égalité des chances n'est plus crédible, la social-démocratie a vécu d'une redistribution qui ignorait le rapport antagoniste des riches aux pauvres. La séparation hobbesienne de l'État et de la société ne tient plus. L'oligarchie financière, pour ordonner le désordre, donnera au corps social des boucs émissaires. En noyant la lutte de classes dans la lutte des races et des sexes, elle voudra faire d'une pierre deux coups, détruire les populations inutiles menaçantes et menacées.

C'est à partir de certains comportements autour desquels viendront s'agglomérer les autres que les choses arriveront. Au départ donc, les comportements des riches et des pauvres se disjoindront engageant ainsi la grande divergence sociale. La sobriété ne commencera pas par les riches, les États ne renonceront pas à la puissance technologique.

Des comportements émergeront qui en sauvant des personnes pourraient tendre à sauver une classe, plus exactement ce qu'il en sera resté. Car le temps qu'émergent des comportements pertinents pour faire face aux différentes insécurités, beaucoup auront failli. Les riches et la puissance publique ne renonceront pas aux machines intelligentes, les pauvres ne pourront compter que sur leur seule intelligence. Mais de quelle intelligence les prolétaires pourraient-ils disposer ? De quels savoirs pouvoir faire ? Là est la question. L'avenir du monde dépend en grande partie des dispositions de la classe moyenne supérieure. Va-t-elle toujours avoir le regard tourné vers le haut, avoir la propension à se détacher de la classe inférieure pour servir la classe supérieure ? Où va-t-elle enfin comprendre qu'il faut refaire société avec la classe inférieure, remettre le savoir dans le travail vivant, pour sauver le monde de la catastrophe prévisible ?

Nous avons besoin d'une vision de l'avenir qui nous permette d'aller vers lui sans trop d'affolement et de dissensus. J'entrevois dans une certaine globalisation, une archépélisation du monde s'imposant dans l'ordre ou le chaos. Car le monde doit trouver une certaine cohérence et un certain équilibre. Un monde concentrant le savoir et le pouvoir faire d'un côté et privant le reste n'est plus soutenable. Il faut remettre le travail mort dans le travail vivant, qui l'intensifie et l'améliore au lieu de s'en abstraire et de le détruire. Le paradis sur terre, ce qu'il peut en être, n'est pas dans la consommation illimitée, il est dans la magnificence du vivant. Il est dans une coopétition favorable au vivant. Il n'est plus dans le nombre d'esclaves énergétiques possédés.

Je voudrais soutenir la thèse suivante : l'avenir du monde dépend du rapport des classes moyennes supérieures à la classe supérieure et à celles inférieures. Il dépend du mode d'insertion de leurs « laboratoires » dans la société et de la diffusion de leurs produits dans le tissu social. Leur attachement à la classe supérieure conduira au laminage de la classe moyenne et au décrochage des classes inférieures, la classe supérieure demeurant attachée à une appropriation privative du monde par la substitution du travail par le capital. Leur attachement aux classes inférieures est la condition de la déprolétarisation, de la réunification du savoir et du travail vivant.

La propension actuelle du monde

Pour l'heure, le monde en absence de vision semble être configuré pour aller dans une guerre des riches contre les pauvres sous la bannière de la défense du mode de vie (du pouvoir d'achat) confondue avec la défense des droits humains. Une partie du monde universaliste qui ne pense la paix que dans un monde façonné à son image, une autre différentialiste qui ne la pense que sous son contrôle. C'est dans la guerre que se poursuit le progrès technique, mais les guerres n'ont pu être gagnées que parce qu'elles portaient un progrès civil, les machines de guerre se convertissant en machines civiles et confort social, se diffusant sur une large échelle. Le travail scientifique s'élargissant alors et le progrès technique élargissant l'activité sociale. Avec la désynchronisation du progrès social et du progrès technique, ce n'est plus le cas, le progrès technique cesse de se diffuser dans le tissu social, la richesse ne « ruissèle » plus des riches vers les pauvres. Les riches pour ne pas subir la fin de la civilisation thermo-industrielle et pour se protéger des pauvres qu'ils ont antagonisés vont d'abord se séparer d'eux, ils vont se réfugier dans des bunkers, laisser les guerres civiles se développer pour se défaire des populations inutiles. Quand le feu aura fait son œuvre salvateur, ils repartiront à la conquête de leur pouvoir de faire. Voilà ce qui pourrait se passer, si les riches refusaient d'aller à la rencontre des pauvres, de partager avec eux leur savoir et pouvoir faire.

La guerre à Gaza n'est pas un évènement à la frontière du monde, c'est son résumé à petite échelle ; elle est le devenir du monde qui démarre en son point le plus sensible. Tel que le monde est aujourd'hui configuré, la guerre est son avenir. Au slogan »l'Amérique d'abord», la première puissance mondiale devrait lui substituer celui de «le Monde d'abord». Ce qui n'adviendra que si un nouveau mouvement des non-alignés émerge et ne permet pas à cette puissance et à sa rivale d'imposer au monde leur logique de rivalité mimétique.

Progrès, progressistes

Les progressistes continuent de croire au Progrès qu'ils identifient désormais au progrès sociétal, il se croit toujours sur la pente croissante du progrès social. Ils aspirent toujours à conformer le monde à leur image. Ils croient à la croissance verte, qu'aller aux énergies renouvelables signifie aller toujours vers plus de droits et de confort. Ils oublient que l'ère préindustrielle fonctionnait aux énergies renouvelables, que le futur pourrait ressembler au passé s'il se pouvait. Ils continuent de croire que l'avenir est le paradis et le passé l'enfer. Il est vrai qu'ils ne sont pas les premiers à en faire les frais, même quand ils perdent aux élections. Ils s'imaginent toujours s'émancipant de la nature, disposant de plus de libertés individuelles, individualisant de plus en plus leur consommation, croyant pouvoir être maitres de leur destin, de leur corps. Ils ne voient pas que le progrès de la vie matérielle qui a détaché leur corps de la nature peut dans sa décrue les y rabattre à nouveau. Ils ne veulent plus d'enfants, mais une main-d'œuvre étrangère qualifiée qu'ils pourraient renvoyer chez elle une fois le travail terminé, les retraites assurées. Ils ne voient pas la colère des déclassés monter. Ils ne voient pas déjà se réduire le parc de machines, ils s'imaginent que la voiture électrique va remplacer la voiture thermique, ils espèrent que leur prix va continuer de baisser à l'image du prix des panneaux solaires. Ils ne voient pas que la Science n'est plus à leur service, que si de nouveaux esclaves mécaniques ne vont pas cesser de naître, peu nombreux sont ceux qui en auront l'usage et beaucoup plus nombreux sont ceux qui devront renoncer aux anciens. « On n'arrête pas le train du Progrès » certes, mais il réduira ses réseaux, ne desservira plus toutes les gares et ne s'arrêtant pas devant tout le monde en laissera beaucoup à la gare. On veut croire que panneaux solaires et éoliennes que nous produisons maintenant à l'ère de l'énergie fossile pourront être ceux que nous produirons demain sans elle. Ils ne voient pas que l'énergie renouvelable ne se substitue pas à l'énergie fossile, qu'on n'a jamais autant consommé de charbon. On ne veut pas trop voir que panneaux solaires et éoliennes en appellent à des métaux « rares ». Le mythe du Progrès à la vie dure, il a la vie de confortables habitudes sociales. On veut bien passer aux énergies renouvelables, mais on ne veut pas renoncer aux bénéfices de l'énergie fossile. Comment renoncer au confort, à l'émancipation, à la progression de l'autonomie individuelle ? Beaucoup y restent attachés et beaucoup commencent juste d'en rêver. Ils ne voient pas qu'ils vont à la guerre, d'abord contre les populations inutiles étrangères qui risquent de les submerger et en sous-main contre leurs propres populations inutiles qu'ils voudraient envoyer combattre.

C'est de ne pas prendre sérieusement en compte le cours réel des choses que les progressistes s'aveuglent. C'est de ne pas prendre en compte le monde physique que les économistes continuent de cultiver leur jardin. Ils ne voient pas monter l'énergie nucléaire dans la décarbonation de l'activité économique à laquelle ils s'étaient opposés. Les riches sociétés vont devoir composer avec les déchets nucléaires pour ne pas laisser tomber leurs infrastructures de base, leur puissance électrique, mais quid du pouvoir d'achat des communs mortels ? Les civils ne pourront plus disposer d'autant d'esclaves mécaniques, ceux-là ne pourront pas être animés par l'électricité d'origine nucléaire, on ne peut laisser cette dernière proliférer. La décarbonation par l'énergie nucléaire servira les puissants et la puissance publique, les citoyens incidemment. Les puissants ne renonceront pas à leurs machines intelligentes et à leur personne augmentée, reste à savoir comment cela retombera sur les citoyens. Ce n'est plus la richesse matérielle qui peut ruisseler, mais le savoir et le pouvoir faire. Partager le savoir et le pouvoir faire entre les vivants ou le monopoliser par la classe d'une espèce, voilà l'enjeu de la coopétition mondiale.

Il faut se défaire du mythe du Progrès, du mythe de l'Histoire comme progrès constant et linéaire. À l'échelle de quatre générations qui peuvent tenir dans une seule vie, une bonne partie de la société algérienne a fait l'expérience du passage d'une sous-consommation à une surconsommation. La génération qui est sur le point de partir a nagé dans le progrès social. La dernière arrivée nage dans l'anxiété et la consommation, elle s'inquiète de l'avenir professionnel et climatique, mais développe un comportement consumériste. Elle jouit des « bienfaits » de l'énergie fossile, mais s'inquiète de ses méfaits à venir. Ce qu'elle sait et ce qu'elle fait sont tout à fait désynchronisés. Son inconséquence est cultivée. Jusqu'à quand et pour quelles conséquences ?

Il faut se faire une idée du progrès qui ne soit pas contreproductive. C'est le retour d'une histoire cyclique, ou plus exactement une évolution en spirale, mais désormais descendante plutôt qu'ascendante. À un certain moment, l'histoire a besoin de se reprendre à partir de ses anciennes bifurcations, pour explorer une direction qu'elle n'avait pas retenue. Il y peut y avoir des marches en avant ici et des retours en arrière là, le tout est de savoir comment les choses s'équilibreront. L'Histoire tâtonne, va dans des impasses et s'en retourne. Aujourd'hui les médias continuent de faire croire au Progrès, car sans publicité incitant à la consommation, ils changeraient de main. Les économistes continuent de n'avoir de regard que pour la croissance, ils n'ont pas appris à gérer la décroissance, mais à la combattre. Ils parlent flux d'argent, mais pas flux physiques.

Le monde se dirige vers la guerre, en ignorant que le retour à la paix ne sera pas comme celui d'après la Seconde Guerre mondiale portée et prolongée par le développement de la civilisation thermo-industrielle. On croit que la reconstruction sera une aubaine pour certaines entreprises, alors qu'il faudra reconstruire dans d'autres conditions de stabilité. L'instabilité est là pour durer, mais on continue de croire qu'elle sera passagère. Le progrès le plus simple consisterait aujourd'hui à éviter les guerres avec leurs destructions massives, et le plus intelligent, à atterrir en douceur avec la décroissance. Mais voilà que les forces de l'inertie ne travaillent pas dans ce sens. Les Chinois qui nous le savons ont une autre conception de l'Histoire reviennent à leurs Classiques, ils ont un autre rapport au passé. Pourront-ils instruire leur comportement de l'enseignement des Anciens, se défaire d'une rivalité mimétique avec l'Occident, passer d'un comportement consumériste à un comportement sobre ? Vers quoi se porteront-ils ? Au lieu de pleurer la disparition de la croissance, ils pourraient accueillir la décroissance autrement que ne peut le faire l'Occident.

La notion de progrès démarre avec la science expérimentale au XVII° siècle. Puis elle passe à l'esprit humain en sécularisant la conception chrétienne de l'histoire : l'au-delà est déplacé sur l'avenir et le bonheur terrestre remplace le salut céleste. La notion gagne ensuite la vie matérielle qui se confond avec la croissance de la production marchande (PIB)[4]. Mais voici que pour les croyants au Progrès l'avenir ne s'apparente plus au paradis, mais à l'enfer, même si des populations nombreuses (économies émergentes) veulent croire qu'elles peuvent avoir leur part de paradis terrestre. Des hindous et des Juifs font ainsi la guerre à des musulmans, les Turcs aux Kurdes, etc. pour construire leur paradis terrestre au lieu de construire la paix dans une certaine sobriété énergétique. Pour l'heure, il s'agit de savoir qui va chuter le moins violemment possible, qui pourra reprendre ses billes après l'effondrement général. La peur du passager clandestin mine autant les relations collectives que les relations internationales.

Autonomie et dépendance

Le progrès est cumulatif et c'est celui du savoir depuis l'écrit. Mais il n'a pas cette caractéristique dans toutes ses applications. Le caractère cumulatif du progrès technique et scientifique associé aux mythes de l'histoire comme progrès et de l'homme comme maître et possesseur de la nature permet d'associer le progrès du savoir au progrès du monde. Pourtant l'application du progrès scientifique, le progrès technologique, est ambivalente : le monde est soumis au deuxième principe de la thermodynamique et le progrès sert aussi à détruire, à faire la guerre. La destruction créatrice de Schumpeter laisse derrière elle une pure destruction rétroactive.

Avec les mythes de l'Histoire comme Progrès, de l'Homme comme maître de la Nature qui s'effritent, c'est le mythe de l'émancipation, de l'autonomie individuelle qui s'effondre. ... Nous commençons à voir qu'il faut plutôt prendre soin de ses dépendances, qu'il n'est pas bon de dépendre du marchand, de l'anonyme étranger qui peut se transformer en rival qui s'en prend à ce que nous produisons et à nos conditions d'existence.

Gendarme de la chaîne alimentaire

Bien que nous nous rendions compte aujourd'hui que nous n'avons jamais été maîtres de la nature, que la Science n'a jamais régné sur le monde, qu'il va falloir nous adapter, on continue d'affirmer que nous voulons être maîtres de notre destin. Nous continuons de vouloir nous soustraire aux pesanteurs terrestres, soumettre le monde à notre rêve d'autonomie individuelle.

Dans la chaîne alimentaire, l'homme s'est élevé au-dessus de tous les vivants, mais il n'en est pas le centre. Il en est dépendant et ne peut en être maître. Il ne peut dans son intérêt qu'entretenir et soigner la chaîne. Si Copernic a découvert que la Terre tourne autour du soleil et non l'inverse, nous découvrons que l'homme tourne autour de la Terre et non l'inverse.

De ce que l'homme produit, il commence à voir que l'essentiel qui commence à lui faire défaut ne dépend pas de lui. C'est la matière et l'énergie fossile qu'il n'a pas produites et qu'il a sous-évaluées dans ses comptes parce qu'elle coûtait peu à sa compétition, qui ont rendu possibles la vie matérielle et les droits qu'elle porte. Si travail humain et travail non humain ne doivent que faire qu'un, que l'un ne peut aller sans l'autre, la part du travail non humain est considérable. La part du travail humain dans la production de la vie matérielle, bien que cruciale, est marginale depuis que savoir et énergie ont été dissociés dans le travail humain par les énergies fossiles, la part de l'énergie humaine dans l'énergie utilisée est devenue négligeable, du savoir dans le savoir humain de plus en plus réduite . Avec les crises énergétique et climatique, la nécessaire décarbonation de la vie matérielle et contraction de l'économie qui doivent s'ensuivre, la part de l'énergie humaine dans le travail humain, du savoir dans le savoir humain, devra retrouver une place plus importante.

Nous voguons à contre-courant : nous continuons à travailler avec une énergie bon marché alors que nous devons commencer à apprendre à travailler avec moins d'énergie non renouvelable. Conséquence : nous produisons ce que d'autres cessent de produire. Châkh ennidhâm, disait un défunt sage ; il a du mal à s'adapter.

Pour prendre soin de lui-même, l'homme doit prendre soin de toute la chaîne alimentaire, de toute la vie dont il vit, de tout le travail vivant dont il n'est pas la cause et dont il dépend. Le « travail mort » qui a remplacé le « travail vivant », les machines qui ont remplacé le travail humain ne peuvent fonctionner, se développer et subsister sans énergie non humaine qui les actionne.

L'homme cet omnivore, ne peut se passer ni des plantes ni des animaux. L'homme a un rôle crucial dans la chaîne alimentaire non par son régime alimentaire qui le situe au niveau de l'anchois, mais par sa capacité à se mouvoir et à intervenir dans toute la chaîne alimentaire, à faire tenir, entretenir ou rompre, détruire toute la chaîne. Il est en quelque sorte le gendarme de la chaîne, mais aussi un producteur et un consommateur qui par ses diverses interventions peut soigner ou nuire à la chaîne.

L'être humain est responsable de toute la chaîne de production/d'alimentation, car dans la chaîne, il y a des prédateurs, des consommateurs et des producteurs qui ne sont plus à leur place par sa faute et se développent de manière disproportionnée. Il y a ceux qui la renforcent et ceux qui la sapent, il y a ceux qu'il doit combattre et ceux qu'il doit se concilier dans l'intérêt de toute la chaîne, son intérêt ne peut s'en dissocier. Il y a ceux qui ont trouvé leur place et ceux qui l'ont perdu. De ceux qui l'ont perdu, il y a ceux qui disparaissent et ceux qui subsistent et cherchent leur place. Tous deux affectent la chaîne, dans un cas elle s'affaisse, dans l'autre, elle est perturbée. L'Homme peut alors voir la pyramide de laquelle il vit et dans laquelle il intervient, s'effondrer. Lui qui peut parcourir toute la chaîne, il lui faut prendre soin sans en être Maître ou plutôt mauvais maître. Car le savoir et son caractère omnivore en ont fait un maître. Un bon maître, dans le sens du maître d'école qui ne fabrique pas son élève et sait que l'école n'est ni la société ni la vie. Mauvais maître celui qui croit que tout commence avec lui. Celui qui oublie qu'il fait partie de la chaîne, a été produit par la chaîne et qu'il n'est à sa place, être dans une position où tous les autres membres de la chaîne sont à son service que parce certains équilibres ont été respectés, qu'un certain ordre a été établi dans lequel il a une responsabilité particulière, mais pas toute la responsabilité. Après avoir été mauvais maître, il doit apprendre à devenir un bon maître.

Dieu fait Homme

« Dieu se fait homme » : avec le mythe de l'Incarnation, l'Homme peut déclamer la Vérité du monde. Dieu fait Homme peut ainsi s'effacer derrière l'Homme, le Dieu mortel (Hobbes) peut prendre sa place. C'est désormais l'État et le marché qui auront leurs fidèles.

Le mythe de l'homme maître et possesseur de la nature qui est à l'origine de la Science a quelque chose à voir le mythe chrétien de l'Incarnation. Dieu, qui a créé le monde, l'aurait soumis à des lois, peut se retirer et le confier aux hommes par les lois que la Science découvrira. L'Homme hérite du Savoir divin dans la Science. Elle prendra possession des lois que Dieu y a déposées par lesquelles le monde est gouverné. Quand les Occidentaux comparent les civilisations, ils ne peuvent pas rendre compte des partis-pris implicites de leur comparaison. Ce mythe ne figure pas dans les postulats qui les différencient des autres civilisations. Il arrive au mythe de sourdre dans la comparaison, mais il ne sera pas posé comme postulat à l'origine de la Science qui fait pour les Occidentaux la différence avec les autres civilisations ; ils sont la civilisation qui a donné naissance à la Science en sortant de la Religion. Il ne pouvait le postuler ayant placé la religion dans un passé sans avenir, substitué le bonheur terrestre au paradis. Et pourtant en comparant l'humain dans les différentes civilisations, ce mythe de l'Incarnation, d'où découle cet homme maître et possesseur de la nature, apparait spécifique au christianisme. Dieu s'étant retiré de sa Création, s'étant incarné dans l'Homme, la Nature se donne à la Science de l'Homme. Il n'a plus besoin de l'Église qui a accompli son œuvre en cédant la place au Dieu mortel, la Science qui de libre expérimentation au départ est maintenant chargée de dire la Vérité du monde. On a échangé dans l'opération l'infaillibilité du Pape contre celle de la Science. Il y a là une nouvelle foi bien plus arrogante que l'ancienne. Elle se situe au-dessus de toutes les religions.

Le mythe de la rupture a permis l'effacement du mythe de l'incarnation et sa transmutation dans l'Homme maître et possesseur de la nature. Le mythe prométhéen qui replonge l'esprit européen dans l'Antiquité, vient soutenir le mythe de l'homme maître et possesseur de la nature pour dérober la filiation de ce dernier au mythe de l'incarnation. On ne peut faire du nouveau qu'avec de l'ancien, sauf à penser que l'on puisse recréer le monde à partir de rien. L'ancien est dans le nouveau et le nouveau dans l'ancien, on peut parler de gestation, de génération, de mutation, mais pas de création ex nihilo sauf à supposer une nature de création divine dont la charge de divine serait devenue humaine. Le mythe de pouvoir créer à partir de rien passe de Dieu à l'Homme.

La bipolarisation : un choix de société, ...

« La tendance, constatée dans tous les pays développés, est à la polarisation croissante des qualifications. Que voit-on ? Les jobs les plus qualifiés sont en forte croissance, de même que ceux qui sont à l'autre bout de l'échelle : petits boulots, emplois supposés immédiatement accessibles, souvent précaires dans leur statut. Entre les deux, les tâches de qualification intermédiaire semblent vouées à une lente mais inexorable érosion. Or, ce sont ces tâches - ouvriers qualifiés de l'industrie, cadres intermédiaires des services - qui ont formé l'ossature des classes moyennes dans la période de croissance des décennies d'après-guerre. ...

... cette bipolarisation ... contrairement à ce que suppose une grande partie de la littérature économique n'est pas une fatalité technologique. Cette situation ... est le reflet de notre mode de croissance et des grands choix implicites concernant la place du travail humain et sa valorisation dans nos modèles économiques et sociaux. Il faut commencer par dire que la « qualification » et les critères par lesquels nous la mesurons n'ont rien de « naturel ». En quoi le travail d'une aide-soignante dans un EHPAD est-il moins qualifié que celui d'un cadre commercial qui cherche à placer ses produits dans une chaîne d'hypermarchés ? On sent bien que les différences fondamentales qui se cachent derrière la grille des niveaux de qualification tiennent plus à la reconnaissance, à la valorisation ou à la dévalorisation par la convention sociale, qu'à la complexité intrinsèque des tâches. Si des jobs de services, notamment dans le soin et dans l'aide aux personnes de manière générale - métiers qui, on l'a vu, sont ceux qui connaissent la croissance numérique la plus forte - vont rejoindre le bloc des emplois « peu qualifiés », c'est parce que notre société l'a décidé ainsi. »[5]

... un rapport de classes du travail et des études.

Je voudrais aller plus loin dans le sillage de Pierre VELTZ. Ce que voudront lui répondre les économistes de la société de classes, c'est qu'il faut étudier pour obtenir une qualification, faire de longues études pour obtenir une haute qualification. Il coûte d'étudier et on étudie pour accroitre son revenu. Les études sont un investissement en vue de se constituer un capital, le capital humain.

On oublie quand on dit qu'on étudie pour travailler, que pour étudier il faut avoir travaillé ou fait travailler plus que nécessaire, n'avoir pas besoin de travailler le temps d'étudier. Dans la société de classes, la division du travail séparait les travailleurs des non-travailleurs. Ces derniers se consacraient à la guerre ou aux études. Les études étaient le lot de la fraction subalterne de la classe des guerriers et étudier concernait d'abord non pas le travail, mais le savoir en général pour les besoins de la classe supérieure. On étudiait pour diriger et non pour travailler. Ce n'est qu'avec la révolution dans la production et la productivité que les études et le travail vont être associés. La société de classes distinguera alors des études pour travailler et des études pour diriger. Ces dernières, longues et « inutiles », seront toujours réservées à la classe des non-travailleurs. La nouvelle place de la production matérielle consacrera alors l'essor de la classe moyenne, sa fraction supérieure gèrera pour la classe supérieure le parc d'esclaves mécaniques devenu considérable.

Dès l'Antiquité, les études sont réservées à la classe qui ne travaille pas. La société de classes sépare le travail des études, on n'étudie pas pour mieux travailler, mais pour mieux diriger la société au travail. Ceux qui travaillent n'avaient ni le loisir ni les moyens d'étudier. C'est donc la division sociale de classes qui valorise l'éducation et dévalorise le travail. Il faut être libéré de l'obligation de travailler pour pouvoir étudier, philosopher. Ce n'est qu'avec l'industrialisation qu'il y aura une démocratisation de l'éducation. La société de classes a associé à sa naissance travail et nécessité études et liberté, a dissocié travail et études. Et comme nous l'avons noté ailleurs, travail et études ne peuvent être en réalité dissociés, les études établissent la qualification au sommet de la hiérarchie du travail, aussi sont-elles surtout le fait de la classe subalterne de la classe dominante (ensuite de la classe supérieure de la classe dominée). La division de classes de la société est en fait une hiérarchie du travail. La bipolarisation est un fait de la société de classes. Elle est seulement très prononcée à une époque et moins à une autre.

La revanche des monarchies

Si les monarchies postcoloniales semblent prendre leur revanche sur les républiques postcoloniales aujourd'hui, c'est que leur division du travail consacre une population qui est formée pour diriger, d'une autre qui est formée pour travailler. Cette division sociale du travail s'avère plus efficace que celle mise en place par les républiques postcoloniales. Non pas parce que la division sociale de classes des monarchies est supérieure à la division sans classes des républiques, mais parce que ces dernières qui avaient pourtant libéré une énergie sociale considérable aux indépendances n'ont pas su établir la complémentarité du travail et des études à la différence des monarchies. Les monarchies ont donc pu entretenir une classe moyenne supérieure dynamique qui a pu leur soumettre une classe de travailleurs humains et non humains. L'essentiel dans le processus d'accumulation n'est pas la division de classes, mais la complémentarité des études et du travail. Et son dynamisme renvoie plus à la compétition des talents qu'à un ordre surimposé. Ce n'est pas un hasard si les sociétés qui ont fortement été inspirées par la civilisation chinoise et sa bureaucratie céleste ont eu plus de facilité à réaliser une telle complémentarité.

Il ne faut donc pas oublier qu'entre travail et études, il faut boucler la boucle. Ce que sociétés de classes ou sans classes ne réalisent pas toujours. Les unes à cause de la rigidité de leur ordre social, les autres à cause du désordre structurel dont elles sont victimes, causes qui les rendent incapables de réaliser la complémentarité des études et du travail. On travaille pour étudier et l'on étudie pour travailler, c'est ce cercle vertueux qui actionne l'accumulation du capital. La société dégage un fonds pour étudier qui lui permettra d'améliorer son travail. Les études s'allongeront à mesure que le parc de machines sera plus étendu et plus compliqué. Mais non pas le travail lui-même. S'occuper d'une personne, que dire de plusieurs, est bien plus compliqué que de s'occuper d'un ou de plusieurs automates.

Le monde est un grand laboratoire. Au départ, le laboratoire est un champ ouvert, c'est le travail direct qui expérimente. Avec le développement de la production, le laboratoire se resserre, la part de l'ingénieur et du travail indirect s'accroit. Expérimenter exige un financement et un appareillage importants, une longue formation qui le fabrique, le met en œuvre et le teste. Au fur à mesure que le travail indirect, l'ingénierie, investit l'expérience, l'expérimentation se dégage du champ social. Les « ingénieurs » se font moins nombreux. Le travail est davantage celui des machines, et faire travailler les machines devient le fait d'une petite partie du travail humain. Le travail se bipolarise, une faible partie est surqualifiée, une importante partie n'a plus d'autre qualification que celle qu'autorisent les champs sociaux qui n'ont pas été pénétrés par les machines. Il y a alors comme un travail proprement machinique et un autre proprement humain.

La longueur des études par lesquelles on se rend capable de faire travailler les machines, est ce qui détermine désormais la qualification, le mérite social, l'accès à la classe moyenne supérieure. Mais si l'on admet que cette convention est le fait d'une société qui croit et adhère à un avenir dominé par les machines, que deviendra cette convention lorsque la société ne croira plus qu'un tel avenir fera son bonheur ? Dans la civilisation thermo-industrielle, la machine faisait le bonheur de la société tant que chacun pouvait accroitre le nombre d'esclaves mécaniques à son service. Mais dès lors que le parc de machines commence à décroitre, que des esclaves humains (travailleurs sans-papiers et sans droits) se mettent à remplacer les esclaves mécaniques, le bonheur ne concerne plus tout le monde. On peut alors se demander si s'occuper des enfants et des personnes âgées importe moins que de faire travailler des machines.

En guise de conclusion. Avec la croissance de la production et de la productivité, une classe moyenne supérieure a émergé et a joué un rôle décisif en tant que classe subalterne de la classe possédante. Elle a assuré la gestion du développement du parc de machines et du travail humain préposé aux machines. Avec la contraction de la vie matérielle, son rôle sera encore décisif. Si elle reste attachée à la classe des propriétaires, en s'attachant au progrès sociétal et à la problématique des droits plutôt qu'au progrès social, elle accentuera la prolétarisation du travail, séparant toujours davantage savoir objectif et travail vivant. Elle aidera alors la classe possédante à noyer la lutte des classes dans la lutte des races et des sexes. Si elle fait corps avec le monde du travail, s'attache à une problématique des devoirs (entre classes sociales et êtres humains et non humains), remet le savoir dans le travail vivant et promeut le progrès social, elle prendra part à la déprolétarisation, à la lutte contre la dépossession et à la promotion de la paix dans le monde. Elle sera ainsi décisive dans le mouvement de substitution et de complémentarité du capital et du travail. D'elle dépendra l'investissement du savoir dans le travail mort et le travail vivant, de la transformation du savoir en pouvoir du monde vivant ou en pouvoir sur un monde d'esclaves humains et non humains.
c'est un phylosophe ya bouzah ba ba ba ba ba ba ba c'est le cousin de Voltaire?.
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Les philosophes des Lumières veulent étudier le monde concret et tout examiner à la lumière de la raison. Le maître mot de ces philosophes est « l'entendement » ...
IL faut Hakim Laàlam pour le suivre et le comprendre ba ba ba ba ba ba !!!!!!!!!
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