Il fut un temps qui n’est pas si lointain où le poisson foisonnait que cela soit dans les oueds de la région ou en mer. La pêche faisait la joie de tous. A la campagne l’on voyait souvent sur les bords de la Seybouse des riverains armés de gaules confectionnées à l’aide d’un roseau, un bouchon en liège provenant d’une bouteille et d’un semblant d’hameçon confectionné à partir d’une simple épingle à nourrice. Ils revenaient le soir portant un chapelet de barbeaux, anguilles et autres mulets « taches jaunes » ou à museau rond familiers à nos rivières. Pour les gens qui résident au bord de la mer, les plus chanceux disposaient de moulinets montés sur des cannes en bambou, récoltées du côté de Chétaïbi où se trouvait une variété de ce roseau exotique unique en son genre. C’était le temps où le « Rumer Atlantique » et le « Luxor », des moulinets qui faisaient leur fierté. Pour les moins nantis, il suffisait d’un palangrotte et la partie de pêche était assurée. L’eau était limpide et on pouvait voir les poissons nager dans ses profondeurs. L’avènement de plusieurs usines qui déversaient les eaux polluées a fait que toute la côte s’est trouvée désertée par sa faune, puisque la flore était atteinte et ne pouvait plus subvenir aux besoins alimentaires de ses habitants aquatiques. Plus de loups de mer, si faciles à capturer, plus de belles ombrines et plus de mérous, dont une hécatombe avait été décelée l’année dernière du côté de Draouche. Le détournement de l’Oued Seybouse qui prenait son embouchure à « la pointe » à Joanonville, avait déjà changé le visage de la ville. S’en était suivie le déversement de produits chimiques de l’usine de levure de Bouchegouf, puis plus en aval les conserveries de tomate, cela sans compter les usines lourdes se trouvant à proximité de la mer. Le sable est recouvert d’une pellicule qui empêche toute vie aquatique. Avant on récoltait les haricots de mer, les clovisses et les praires tout le long des plages allant de l’embouchure jusqu’à la plage d’El Battah. Cette dernière était réputée pour ses matsagounes , une variété de crustacés qu’on pêchait la nuit sur les bords de l’Oued Maffrag rien qu’avec l’apport d’une lampe électrique. Leurs yeux phosphorescents permettaient de les découvrir se reposant sur le sable, dans l’eau de l’embouchure. Les nuits que passaient les pêcheurs de la ville sur les plages étaient de véritables moments de plaisir où se mêlaient les cris de joie en voyant les grosses prises, telles que des allèches, ou desserres pesant plusieurs kilos. Parfois on accrochait un léman ou un violon –ou guitare de mer- allant jusqu’à la trentaine de kilos. Maintenant ces belles choses font partie des rêveries de ceux qui les ont vécus et qui maudissent l’implantation de ces complexes qu’on aurait du construire près des mines d’où on extrait la matière première.
lestrepublicain.com - 13 janvier 2014 - Ahmed Chabi
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