«Je ne suis pas devenu pauvre comme je l'aurais souhaité»

ar Amine Bouali


J'ai été troublé par la confession d'un ami prêtre, Père Dominique, que le hasard des rencontres m'a fait connaître et apprécier. Père Dominique est issu d'une vieille famille bourgeoise du nord de la France et il a consacré sa vie au service de Dieu et de son prochain. À 18 ans, il a effectué son service militaire comme aumônier dans l'armée de la France coloniale, au Vietnam puis en Algérie, et il a gardé au plus profond de lui, jusqu'à aujourd'hui, plus de 65 ans après, les stigmates des crimes et des injustices coloniaux dont il a été un témoin impuissant et brisé.

Vers sa vingtième année, juste au moment de démarrer dans la vie, et parce qu'il ne voulait pas entamer l'âge adulte avec un pareil «handicap », Père Dominique n'a rien voulu garder pour lui-même de sa part d'héritage familial, produit de la vente d'une brasserie, et il a tout rétrocédé à son église et à des associations caritatives, comme s'il voulait se débarrasser au plus vite d'un cadeau empoisonné. Ensuite Père Dominique a vécu d'une partie de son salaire de sociologue (notamment au CNRS à Paris)- car il reversait l'autre part à son église- puis d'une portion de sa retraite également, jusqu'au jour d'aujourd'hui où il mène une fin de vie paisible et contemplative dans un monastère à Lille, la ville de ses parents.

Et bien cet homme, après avoir pratiqué une sorte d'examen de conscience et après s'être délesté de pratiquement tous biens matériels tout le long de son existence, a trouvé le moyen de confier à des proches : «Malheureusement, je ne suis pas devenu pauvre, comme je l'aurais souhaité !»

«Je ne suis pas devenu pauvre comme je l'aurais souhaité !» Dans une époque où la «religion» de l'argent-roi et le culte du veau d'or (ou «puissance d'égarement » selon le Coran) font de plus en plus d'émules à travers la planète et ont presque relégué au second plan les valeurs humaines essentielles, cette parole profonde d'un homme riche de sa foi et de son humanité devrait nous interroger sur la validité des buts suprêmes ou premiers que chacun de nous se fixe dans la vie, et sur la définition que chacun de nous donne, par exemple, aux mots «bonheur», «réalisation de soi» ou «réussite».